mardi 26 janvier 2010

Luis Mazzantini et W.J. Bryan


Toujours en quête de découvertes concernant le torero Luis Mazzantini, il y a deux ans maintenant, lors des premières recherches le concernant, nous avons eu connaissance d'une rencontre entre le diestro et un célèbre homme politique américain.

Ce qui attira particulièrement notre attention est que, comme le savent les lecteurs assidus de ces colonnes, Luis Mazzantini était non seulement un matador de toros important de son époque, mais aussi franc-maçon, et que le politicien américain en question, William Jennings Bryan, était lui aussi franc-maçon. Le site internet politicalgraveyard.com mentionne ce candidat malheureux à la présidence des Etats-Unis pour le compte du Parti Démocrate en 1896, 1900 et 1908, comme member: Freemason, Sigma Pi, Knights of Pythias. Nous laisserons le soin au lecteur de se documenter, si il le désire, concernant les mouvements Sigma Pi et Knights of Pythias. Nous préciserons tout de même, qu'il s'agit de deux mouvements aux idéaux de fraternité, de conceptions un peu plus secrète pour le second.

Concernant l'engagement maçonnique de notre homme politique américain, les avancées depuis les premières recherches, nous ont appris que W.J. Bryan fût membre de la Lincoln Lodge n°19 dans le Nebraska, ce qui le fît être répertorié comme franc-maçon nebraskans au même titre que William Bill Cody allias Buffalo Bill qui était lui-même franc-maçon. Plus tard, W.J. Bryan fût affilié à la loge Temple Lodge n°247 à Miami en Floride. La Floride, région dans laquelle il se mit au service de plusieurs organisations chrétiennes fondamentalistes, après avoir démissionné en 1915 du poste de secrétaire d'Etat du président Woodrow Wilson.
Anti-impérialiste, pacifiste, partisan de la prohibition, W.J. Bryan fût aussi un adversaire de la théorie de l'évolution. Au point qu'il offrit son soutien à l'acceptation d'un amendement constitutionnel, se voulant interdire l'enseignement de l'évolution dans les écoles. Il mena une ardente campagne en ce sens, permettant ainsi à plusieurs Etats d'être favorables à ces restrictions intellectuelles.

Les engagements de W.J. Bryan contre la théorie de l'évolution, mais aussi sa proximité avec une église fondamentaliste, peuvent surprendre le lecteur pour qui la connaissance, même minime de la franc-maçonnerie, ne s'arrête pas aux articles simplistes d'une presse racoleuse. La franc-maçonnerie adogmatique telle qu'elle se présente en France mais aussi dans quelques autres pays européens, est différente de celle dite anglo-saxonne et bien implantée notamment outre Atlantique. Cette franc-maçonnerie présente de nos jours, est le fruit d'un longue lignée, dont l'exemple proposé dans ce billet, démontre bien que les francs-maçons sont multiples et divers de par leurs horizons et idéaux sociétaux, et qu'une vision d'une franc-maçonnerie foncièrement et seulement athée, est tout à fait simpliste et totalement réductrice.

Mais revenons sur la rencontre entre le matador de toros Luis Mazzantini et l'homme politique Willian Jennings Bryan. Cette dernière est principalement reprise par Maria del Carmen Vazquez*, mentionnant une caricature diffusée dans le journal El Hijo del Ahuizote. D'autres recoupement, datent cette parution de 1904. Même si de nos jours, une caricature n'est qu'un dessin humoristique il faut garder présent à l'esprit le contexte de l'époque, et savoir que la caricature était un moyen de communication et de passage des informations, au regard du peuple sujet à l'illettrisme. Dans ce cas, elle peut être prise en considération au même titre qu'un article écrit.
Il est dit que les traits de crayons représentent Luis Mazzantini aux côtés de William Jennings Bryan, qui lui est qualifié de bimetalista. La légende échangeant quelques mots, Don Luis demandant « como esta usted, qué hace? », et W.J. Bryan de répondre « yo estudiar la cuestion de la plata y oste ? ». Luis Mazzantini de rétorquer « vengo a llevarmelas mientras usted la estudia ».

N'en sachant pas plus à ce jour sur les motifs à l'origine de cette rencontre entre les deux hommes, toutes les hypothèses sont permises. Aussi, nous interdirons nous d'en émettre une, et de rester interrogateur sur ce point. Pourquoi une telle rencontre de la part de Don Luis, un an avant la retraite des ruedos ?
Les réponses peuvent varier, du simple plaisir de rencontrer un franc-maçon américain afin de cheminer sur l'idéal fraternel, au désir d'établir des relations auprès des personnalités de pouvoir autres qu'ibériques ou d'Amérique Latine. Ou alors, le désir d'établir des ponts dans ses relations politiques internationales. Une attitude peut être calculée, car nous savons que l'engagement en politique de Luis Mazzantini était prévu bien avant son retrait des arènes, comme le confirme une interview qu'il accorda au quotidien « The New-York Times » en 1903.

Quoi qu'il en soit, Luis Mazzantini laisse bien des interrogations. Une chose est certaine, matador de toros atypique, précurseur dans ses relations avec une élite intellectuelle que d'autres toreros poursuivrons après lui, Don Luis est de ses personnages multiples comme peu l'ont été dans le mundillo. C'est en ceci que essayer de le suivre et de le comprendre est tout à fait intéressant, car ses itinéraires de franc-maçon, d'homme amoureux des Arts mais impliqué dans la cité, et de torero important de son époque, font de lui un être tout à fait singulier.


*« Charros contra gentlemen, un episodio de identidad en la historia de la tauromaquia mexicana moderna (1886-1905) ».

mardi 19 janvier 2010

Une brève rencontre, le torero Luis Mazzantini et la soprano Félia Litvinne.


Afin de continuer à suivre les traces du torero Luis Mazzantini, arrêtons nous un instant sur l’une de ses multiples rencontres. Nous connaissons l’intérêt du diestro pour l’opéra, dont il tenta d’embrasser la carrière. Ceci au moment ou il se mit en tête que sa vie d’alors ne lui réservait pas l’avenir auquel il aspirait. D’après Jacques Durand*, le maestro ne voyait comme unique possibilité de se sortir de son sort professionnel, que par une carrière de ténor ou bien de matador de toros.

N’ayant pas eu le succès attendu sur les planches, Luis Mazzantini eut alors l’activité que nous lui connaissons dans les ruedos. Une carrière de torero que, Jacques Durand toujours, rapporte comme une réponse à une fuite d’un avenir qu’il voyait se profiler comme routinier, modeste et vulgaire. Sur ce dernier aspect, connaissant l’attirance de Don Luis pour les arts libéraux, il faut voir dans ce refus d’une condition vulgaire, un désir de distanciation vis-à-vis de ce qui ne sollicite pas l’éveil de l’esprit.Garder l’esprit éveillé, fuir le vulgaire intellectuel, était pour Don Luis la recherche d’une fréquentation assidue de la société bourgeoise. Etre aux côtés des élites intellectuelles de son époque, qu’elles soient politiques ou bien artistiques, être soi-même une référence dans son domaine d’activité, tel semble avoir été le crédo de Luis Mazzantini. Ce désir d’élévation sociale, qu’il serait fort mal de venu de railler de nos jours à la vue des nombreux candidats à toutes formes mêmes éphémères de reconnaissances, Don Luis l’entretenait. Nous le connaissons fréquenter Sarah Bernhard, le poète cubain Julian del Casal (1863-1893) lors de ses séjours à La Havana, et nous découvrons aussi qu’il rencontra Félia Litvinne (1860-1936) lors d’un séjour madrilène de cette dernière.

Félia Litvinne, de père russe et de mère canadienne, naturalisée française en 1893 de par son mariage, possédait aussi du sang écossais et français par son grand-père et sa grand-mère du côté maternel. Issue d’une famille qui marqua de son empreinte le sol canadien au XVIIIè siècle, ainsi que la lignée paternelle marqua la ville de Saint Pétersbourg en qualité d’ébénistes ayant entre autre restaurés divers palais, Félia découvre l’art lyrique à l’âge de 5 ans. De son véritable nom Françoise Jeanne Schütz, cette soprano qui chanta l’opéra surtout wagnérien, rapporte sa rencontre avec le diestro dans son récit « Ma vie et mon art »**. Une brève relation amicale, dans le cadre d’une prestation de la chanteuse au Théâtre Royal de Madrid. Un engagement qu’elle avait accepté avec grande joie, pensant qu’elle rencontrerait un certain succès auprès du public madrilène. Comme la chanteuse le précise elle-même, comparés aux publics de représentations antérieures sur diverses scènes européennes, les spectateurs ibériques lui parurent froids. Ce qui agaça son jeune orgueil.

Son partenaire d’alors rencontra lui aussi l’affront du public, elle décida donc d’arrêter ses représentations en ces lieus. Ceci malgré la presse admirable, et malgré l’insistance de l’héroïque toréador, Don Luis Mazzantini. Don Luis, est présenté comme un personnage ayant autorité et recevant une admiration sans borne des madrilènes. Celle qui avait rêvé de devenir la cantatrice préférée des espagnols, attristée par l’attitude du public, ne voulait plus sortir, même pour aller visiter les musées.

Voulez-vous venir avec moi à la ganaderia, je dois y choisir des toros pour la course, cet ainsi que Félia Litvinne se remémore l’instant ou Luis Mazzantini leur proposa à elle et sa sœur d’aller faire un tour au campo. Malgré son amour des animaux, les cornes des bovidés provoquent l’effroi chez la soprano. Mais par bravade, elle accepta l’invitation. Parties dans un landau traîné par quatre chevaux, Félia Litvinne était habillée d’une robe rouge. Le fantasme de la couleur rouge excitant la nervosité des toros bravos étant déjà établit dans les esprits profanes à l’art tauromachique, la chanteuse marchait fièrement mais bien en arrière du maestro. Dans ce récit, la soprano rapporte que Don Luis lui fît remarqué la couleur de sa robe, et qu’il ne pourrait la sauver que difficilement si un bicho chargeait, car il n’avait pas sa cape avec lui. L’aficionado a los toros peut être surpris à la lecture de cette affirmation, aussi convient-il de prendre cette dernière avec un peu de recul. L’on peut mettre ceci sur le compte de la tentative de séduction de la part du torero, voulant pointer le danger de la situation et son courage à affronter des toros, car nous savons bien qu’il n’en est rien à propos de la couleur rouge et de l’agacement des toros. Ou bien nous pouvons mettre ceci sur le compte du souvenir lointain, car ce séjour madrilène était avant le mariage de Félia, ce qui remonte à avant 1893. Le récit étant publié en 1933, donc écrit aux portes des années 30, soit quelques quarante ans plus tard.

Très apeurée mais crânant tout de même, un gaucho vint chercher les toros quelque peu énervés par la présence humaine. Ce qui autorisa à ces dames et au torero, d’aller se restaurer dans une auberge contigüe à la ganaderia. La fin de cette journée au campo, fût marquée par ses mots de Don Luis envers la chanteuse, tout de même mes amies, vous êtes chic !… Il y a peu de dames espagnoles qui auraient accepté cette équipée.

Félia Litvinne ne dit rien de plus à propos de ce moment passé aux côtés de Luis Mazzantini, mais par ces quelques lignes, ces quelques mots qui nous sont rapportés de lui, nous retrouvons bien le torero que nous connaissons.



*« Tauromachie, propagation de la rage », de Jacques Durand, Claude Bleton, Christian Milovanoff, Actes Sud, La pensée de midi 2001/1, numéro 4, pages 172 à 175.
**« Ma vie et mon art », de Félia Litvinne (1860-1936) édité par la librairie Plon à Paris en 1933.

samedi 9 janvier 2010

Ercilio Nuñez "Vidriales", peintre, novillero et humaniste.


L’an passé, nous avons eu connaissance d’une conférence donnée en Espagne et intitulée « Tauromachie, franc-maçonnerie et christianisme ». Le lecteur assidu de ces colonnes, aura deviné l’intérêt immédiat que nous a procuré cette annonce, et que, nous avons fait notre possible pour que depuis la France, nous puissions entrer en contact avec l’un des conférenciers. Depuis un an maintenant, une correspondance régulière et une réelle amitié s’est établie avec l’un d’entre eux, à savoir Ercilio Nuñez « Vidriales ».

Pour quelques aficionados a los toros des plus érudits venant régulièrement visiter ces colonnes, et nous savons qu’il y en a, ce nom ne leur sera probablement pas inconnu.
Ercilio Nuñez « Vidriales », ou « El Vidriales » suivant les sources, est né le 25 avril 1949 en Bercianos de Vidriales (Zamora). C’est en 1966, après avoir été bachelier, qu’il entre à l’école taurine de Zamora pour quelques mois. Il vît ensuite comme maletilla, et s’essaye pendant deux ans dans les capeas en vieille Castille, Valladolid, Palencia, Salamanca, Soria, Guadalajara, et bien d’autres. En 1969, notre torero porte pour la première fois le traje de luce, le 15 juin, comme sobresaliente dans la plaza de toros de Palencia. Dans ce même ruedo, le 29 juillet suivant, il débute aux côtés de Antonio « El Madriles », en estoquant un novillo de « Espinar » auquel il coupe un appendice. En 1971, Ercilio Nuñez est apodéré par Manulo Quintanilla, qui s’occupa en même de temps de José Ortega Cano avec lequel notre torero alterna. Une carrière taurine, qui fût malheureusement fractionnée par des arrêts de plusieurs années, occasionnés par des problèmes de santés. Malgré l’interruption d’un élan prometteur, tenant compte des novilladas sans et avec picadors, « El Vidriales » toréa plus de 200 fois. En 1984, il reçoit le trophée de la meilleure faena de la temporada en Figueras. Mais c’est en 1986, que Ercilio revêt pour la dernière fois l’habit de lumière, après une novillada à Cabanillas del Campo (Guadalajara). Définitivement éloigné des ruedos en traje de luce, Ercilio Nuñez n’en sera pas moins à la tête de l’organisation de quelques festejos taurinos entre 2001 et 2005, et actuellement il s’occupe de la peña « El Herren » de Huerta de Rey (Zamora), commune dans laquelle il occupe aussi des responsabilités politiques.

Ercilio Nuñez possède une autre corde à son arc, et lorsqu’il laissa les trastos taurinos, ce fût pour saisir ceux des arts picturaux. Car d’aussi loin qu’il s’en souvienne, c’est depuis l’âge de huit ans que Ercilio éprouve une forte attirance pour le dessin et la peinture, trouvant ses sources parmi les impressionnistes. Totalement autodidacte, apprenant pendant sa jeunesse en lisant des livres consacrés à de grands peintres et en analysant de ses yeux les tableaux qui le séduisent, Ercilio Nuñez trouve son inspiration au plus profond de son vécu. Comme sa tauromachie qui puisa sa force pendant ses années de maletilla, les œuvres de Ercilio sont issues d’une impulsion retenue, émotive et forte, le faisant passer de la souffrance intérieure avant de sortir jusqu’à l’extase, comme il le décrit lui-même, au moment où sa main guide le pinceau.

Réalisant plusieurs expositions, dont une en France à Dol de Bretagne, primé pour ses œuvres, une partie des toiles de Ercilio Nuñez « Vidriales » sont visibles sur son site internet (www.erciliovidriales.es/). Le lecteur de ces colonnes qui ne connaîtrait pas encore les réalisations de l’artiste, peut ainsi découvrir ses sentiments philosophiques, métaphysiques et mystérieux. Et à regarder ses toiles, l’on comprend pourquoi il fût conférencier sur un sujet tel que la tauromachie, le religieux et la franc-maçonnerie.

Si à notre humble avis, il doit y en avoir une parmi toutes celles qu’a réalisé l’artiste, résumant à merveille l’ensemble de la symbolique commune entre la tauromachie et la franc-maçonnerie, il s’agit du tableau illustrant cet article. Une œuvre reproduite ici avec l’autorisation de l’artiste, tout comme il nous autorisa à aborder son intérêt pour la franc-maçonnerie. L’on y voit un torero effectuant le paseo, remontant vers la Lumière en logeant un pavé mosaïque dans le sens dextrogyre. Cette Lumière symbolisée par le soleil ainsi que par l’œil du démiurge, du Grand Architecte de L’Univers. Mais d’autres représentations symbolique sont présentes dans cet œuvre, tout comme dans bon nombre d’autres que nous propose Ercilio Nuñez « Vidriales », peintre, novillero et humaniste.

samedi 2 janvier 2010

"Arènes sanglantes", suite...


Il y a quelques mois sur ces colonnes, nous avons publié deux articles concernant le roman de Vicente Blasco Ibañez « Arènes sanglantes » (Sangre y arena). Cette œuvre, se déroulant dans le monde de la corrida de toros, fût abordée sous un aspect assez particulier, puisque il a été souhaité de déceler dans ses lignes, des éventuelles relations symboliques avec la franc-maçonnerie. Ceci non pas afin de vouloir enrichir à tout prix ces colonnes d’une nouvelle perception entre cette association philosophique et la tauromachie, mais tout simplement parce que Vicente Blasco Ibañez était lui-même franc-maçon, comme nous l’avons déjà mentionné lors d’articles précédents, et comme la biographie de cet auteur le démontre.

L’idée d’essayer de percevoir dans ce roman quelques allusions aux mystères de la franc-maçonnerie, s’est faite jour lors du travail sur le manuscrit de « L’équerre, le compas, les toros », suite à des lectures qui laissaient apparaître que des réalisateurs, auteurs, compositeurs ou bien encore musiciens qui furent ou sont francs-maçons, ont laissé poindre dans leurs réalisations des liens allégoriques avec leur cheminement maçonnique. Comme la franc-maçonnerie n’est pas si distante que cela avec l’art de Cuchares, au grand damne des anti-taurins véhiculant l’idée infondée et fallacieuse que la corrida de toros est seule en accointance avec l’idéologie franquiste*, alors que ces mêmes contempteurs taurins s’en prennent à notre droit et liberté propre d’aimer la tauromachie, nous avons débuté la lecture certes atypique mais combien surprenante de « Arènes sanglantes ».

En ce début de temporada, et avant de retourner sur les tendidos dans quelques semaines, nous poursuivons donc la démarche par ce nouvel article, qui en appellera d’autres, en nous arrêtant cette fois au début du troisième chapitre du roman « Arènes sanglantes ». A ce moment de la lecture, il est en effet intéressant de constater que le héros, Juan Gallardo, matador de toros, maestro comme l’on appelle aussi les matadors d’alternatives, se trouve être orphelin de père. Sa mère, la señora Angustias, était l’épouse d’un savetier sevillan. Contrairement à un comte mathématique et philosophique contemporain**, le savetier de « Arènes sanglantes » est présenté comme étant plus enclin a aller boire un verre de vin et a aller aux arènes, que de s’interroger sur la suite de Fibonacci, mais aussi que d’assister son épouse pour élever leurs enfants. Les anti-flamenquistes ont pu trouver dans cette présentation du père du torero, de quoi insulter la corrida qui amènerait à devenir alcoolique et à délaisser épouse et enfants.
Cette mère portant seule le poids de la charge familiale, avait mis au monde la fratrie de la famille Gallardo, composée de Juan et de sa sœur Encarnación. Il n’aura pas échappé ici au lecteur et la lectrice avisé de ces colonnes, intéressé par quelques histoires symboliques et philosophiques, que Juan Gallardo, maître-torero, est le fils d’une veuve, tout comme maître Hiram, personnage central de la dramaturgie maçonnique au troisième degré.

Afin d’être quelque peu précis, il est à noter que deux personnages légendaires ont porté le nom de Hiram. Le premier, roi de Tyr, est connu pour ses relations avec le roi Salomon et la reine de Saba, et se trouve d’après des spécialistes, mentionné dans quelques textes d’occultismes d’influence rosicrucienne. Mais ce roi Hiram est très peu rencontré dans la tradition maçonnique. Toutefois des textes rapportent que Hiram Abi (ou Hiram Abiff) de son patronyme de naissance, était le fils du roi de Tyr, et que ce dernier décédé, c’est son fils qui s’attela à la tâche de la construction du temple de Salomon. Mais si il doit y avoir juxtaposition entre le héros du roman de Blasco Ibañez et le maître Hiram de la franc-maçonnerie, c’est du côté d’une autre vision de l’architecte du temple de Salomon qu’il faut regarder.

Dans la dramaturgie maçonnique, qui fait apparaître Hiram dès les rituels du XVIIIè siècle et qui fût même évoqué en 1717 dans les Constitutions fondatrices de la franc-maçonnerie et rédigée par le pasteur Anderson, l’architecte du temple du roi Salomon, a bien perdu son père, mais ce dernier était un artisan du bronze. Ici aussi, le lecteur et la lectrice intéressés par quelques histoires symboliques et philosophiques, aura remarqué que le père de Hiram, tout comme celui de Juan Gallardo, travaillait de ses mains, tout deux étaient artisans. Coïncidence, ou ressemblance volontaire voulue par Vicente Blasco Ibañez ? Etant donné l’initiation en franc-maçonnerie de l’auteur, et de son attachement pour cet idéal, nous pencherons pour la seconde version. Car de plus, même pour souligner une condition familiale de pauvreté, rien n’obligeait l’auteur de « Arènes sanglantes » à donner une pratique professionnelle artisanale au père du torero, une activité de paysan aurait tout aussi bien été signifiante d’une condition très modeste.

Afin de couper court à une éventuelle dérision que pourraient être tentés d’apporter quelques personnes envers ce qui vient d’être écrit, le lecteur doit savoir que nous sommes tout à fait conscients que l’on peut faire dire tout et n’importe quoi lors de l’interprétation d’une lecture, et d’autant plus lorsque l’auteur est passé à l’orient éternel. Mais nous ne pouvons pas occulter cette similitude entre le torero, personnage central de l’œuvre du romancier ibérique, et maître Hiram. Et cela ne s’arrête pas la en ce début de troisième chapitre du roman, car comme évoqué plus haut, Juan Gallardo se trouve donc être le fils d’une veuve, tout comme maître Hiram architecte du temple du roi Salomon. Coïncidence ici aussi , ou volonté de l’auteur ?

Maître Hiram était architecte qui excellait dans divers corps de métiers, que ce soit le dessin, la fonderie, les tissus, la métallurgie. Il était maître dans l’art de construire, connaissant les différents métiers nécessaires à l’édification du temple. Comme Juan Gallardo et maître Hiram étant orphelins de pères, et donc chacun fils d’une veuve qui à la charge de leur éducation, l’on ne peut s’empêcher de réaliser une nouvelle comparaison entre ces deux personnages, l’un légendaire et l’autre héros d’un roman. Une comparaison qui est de voir dans l’accès au firmament de la profession du torero, la nécessaire maîtrise des arts qui compose l’art de Cuchares. Le métier de tisserand connu de l’architecte se retrouve dans les goûts vestimentaires du matador, le dessin dans la réalisation des passes de cape et autres muletazos. La métallurgie, métier combien complexe dans la composition des alliages et des résistances des métaux, se retrouve dans la juste connaissance de la lidia, qui se doit d’être adaptée à chaque toro affronté, car ce dernier étant Un et unique.

Même si les ressemblances entre Hiram et le personnage de Juan Gallardo inventé par Vicente Blasco Ibañez sont bien perceptibles, et nous invitent à croire que l’auteur a souhaité laissé poindre des liens entre son roman qui se déroule dans le monde des toros et sa connaissance de la franc-maçonnerie, nous n’oserons pas affirmer que l’auteur alla jusqu’à glisser dans son œuvre des détails allégoriques plus ou moins occultes. Mais maître Hiram connut une mort tragique, par sa rencontre avec trois mauvais compagnons, avides d’accéder aux connaissances des maîtres. Juan Gallardo rencontra-t-il aussi des mauvais compagnons ?

(A suivre…)


*L’engagement de gens du mundillo taurino, et notamment la « Brigade des toreros », démontre bien le contraire. Ceci sans oublier que des corridas de toros étaient données dans la Barcelona républicaine. Et que parmi les toreros, comme chez les différents acteurs du monde taurin, il y eut des francs-maçons. Il est à savoir que pour ces derniers, entre 1936 et 1975, pas moins de 16000 espagnols furent exterminés pour des relations avec la franc-maçonnerie. Le général Franco, dont le père et le frère étaient eux-mêmes francs-maçons, eut comme obsession de pourchasser les francs-maçons qu’il accusait de bon nombre de maux. Aujourd’hui, les membres de la franc-maçonnerie ibérique seraient au nombre de 4000, contre 250 000 en France (pour ceux qui adhèreraient aux idées d’une certaine presse voyant une immense influence maçonnique, les francs-maçons français sont moins nombreux que les membres réunis des deux principaux groupes politiques de l’hexagone).
**A ce sujet, lire « La spirale de l’escargot », de Armand Herscovici, paru en France aux éditions Seuil en 2000.