dimanche 21 février 2010

Peinture, dessin, humanisme et corrida de toros.


Alors que les troupes chiliennes occupaient Lima lors de la « Guerre du Pacifique », en cette année 1881, le 23 juillet exactement, à Babahoyo en Ecuador, Teobaldo Constante Garcia voyait le jour.

Fils de militaire, il fait ses études chez les pères jésuites, à San Vicente del Guavas. C'est alors qu'il découvre ses prédispositions pour la peinture et le dessin, un talent qui l'accompagnera toute sa vie. D'humeur assez bohème, notre peintre équatorien vit de ses dessins. Cette légèreté qui lui est prêtée, ne l'empêche aucunement Teobaldo Constante Garcia de garder les pieds sur terre, et de le voir s'intéresser à la politique. Chose qu'il démontrera à partir de 1910 dans le journal « El Guante », qui soutiendra la candidature à la présidence nationale de Emilio Estrada. Un titre parmi tant d'autres à Guayaquil, qui était alors depuis les années 1880, l'un des berceaux de la presse satirique mais aussi anti-cléricale, et qui possédait l'un des journaux les plus consulté dans le genre. Une presse dans laquelle notre homme se senti assez à son aise, tout du moins semble-t-il, car ayant une prédilection davantage pour le dessin que pour la peinture, il participa à quelques caricatures. Ces dernières permettant avec leurs codes littéraires et graphiques, un accès immédiat à l'information pour les citoyens qui non seulement ne savent ni lire ni écrire, mais aussi à ceux qui savent épeler ou bien vont plus loin en maîtrisant la lecture.

En 1915, c'est la revue « Patria » qui lui ouvre ses colonnes, pour y présenter notamment la aussi des caricatures. Deux ans plus tard, la revue l'envoie à New-York en qualité de délégué au congrès des journalistes latino-américains. C'est alors que notre peintre décide de rester une année de plus dans la ville américaine, logeant à l'hôtel et vivant de ses dessins pour le compte de quelques quotidiens.

De retour dans son pays natal, Teobaldo Constante Garcia, sera invité à s'exprimer pour la revue « Momo », dont les dessins se vendront très bien, et il se lancera en 1922 dans la création de la première revue en couleur publiée à Guayaquil sous le nom de « Siluetas ».
En 1926, la révolucion Juliana met fin à l'aventurer du quotidien « El Guante », qui continuait à être sa principale source de revenus. Son ami José Vicente Trujillo, l'invite alors à donner des cours de dessins techniques et artistiques, avant de lui offrir la chaire d'éthique au cours de sa carrière dans l'enseignement qui dura quarante ans.

Toutefois, en 1918, une série d'aquarelles, « El Guayaquil del siglo XIX », sera particulièrement appréciée du public. Cette même année, poussé par un réel intérêt pour les choses de la cité, comme il le démontra lors de sa participation au journal « El Guante », à moins que ce ne soit des rencontres qu'il fît ici ou la, nul ne peut le dire, nous retrouvons notre peintre-dessinateur initié en franc-maçonnerie dans son pays, au sein de la loge « Cinco de junio n°2 », et dans laquelle il chemina jusqu'au degré de la maîtrise. En 1928, son nom figure en qualité de collaborateur du quotidien maçonnique « El Boletin Masonico ».Son initiation dans le mouvement philosophique ne fût donc pas qu'une brève période ou bien une réalisation tardive dans sa vie, comme l'on en rencontre parfois.

Ce qui nous incita à nous pencher, même succinctement, sur Teobaldo Constante Garcia, est que ce peintre fût non seulement franc-maçon mais aussi un aficionado a los toros.
Comme dans bon nombre de localités taurines présentes sur les différents continents, lors des premières prestations taurines les rues étaient fermées, et à mesure se sont construites des plazas de toros si l'intérêt pour le combat se faisait ressentir. La ville de Guayaquil n'échappe pas à la règle, puisque le combat avec le toro est sa première distraction. Une ville taurine dans laquelle notre peintre, dessinateur, franc-maçon et aficionado, est mentionné en qualité de rejoneadores sur la place de la Concorde. A cette époque, les arènes de formes carrées se situes à cet endroit. Une plaza de toros construite semble-t-il par Rodolfo Baquerizo Moreno, qui fût aussi initiateur des terrains de football de la ville ainsi que de la patinoire et autres salles de boxes.
Une aficion a los toros de Teobaldo Constante Garcia, présentée dans les quelques lignes que nous avons trouvé à ce sujet, comme étant très marquée. Il partagea des prestations avec des toreros espagnols, se forgeant une réputation de vaillance devant les toros. Cette « carrière » dans les ruedos ne fût que passionnelle, les arts plastiques étant davantage sa raison de vivre comme le démontre son activité artistique qu'il n'interrompit jamais. Mais cela ne l'empêcha nullement de se lier d'une sincère amitié avec des gens du mundillo. Se réunissant en tertulias avec ses amis, notamment à l'auberge « Madrid » de Guayaquil, et allant jusqu'à ouvrir une souscription en faveur d'une revue taurine locale.

A ce jour nous en connaissons davantage sur l'activité artistique de Teobaldo Constante Garcia, que sur son parcours en franc-maçonnerie ainsi que ses prestations tauromachiques. Mais réunissant deux des critères qui nous intéressent particulièrement sur ces colonnes, il nous paraissait important dans faire une présentation, ceci en attendant d'en découvrir plus sur ce peintre humaniste et pratiquant la corrida de rejon.

mercredi 10 février 2010

Politique et tauromachie, donc forcément Luis Mazzantini.


Il y a dix-sept ans, « l'Union des Bibliophiles Taurins de France » publiait un ouvrage écrit par Jean-François Batté et intitulé « politique et tauromachie, de Charles Quint à Juan Carlos »*.

Dans ce livre, l'auteur soulève les liaisons intimes, et parfois dangereuses, que connurent la politique et la tauromachie au regard de l'histoire de l'Espagne. Tout au long des plus de cent-vingt pages, il est démontré avec une grande minutie que la corrida de toros n'est ni faciste, ni conservatrice ou libérale, qu'elle est tout simplement Une. Tellement Une, qu'elle est mêlée, avec tout ce qu'elle représente socialement, aux intrigues et convoitises des différents régimes politiques. Subissant du coup, les influences plus ou moins néfastes des uns et des autres. L'anti-flamenquisme associé aux guerres qui se déroulèrent au même moment, le pouvoir de Primo de Rivera, la République suivie de la dictature de 1936, et maintenant les enjeux des alliances abolitionnistes politicos-écologistes, en sont des aspects très révélateurs.

Au titre de ce billet, le visiteur assidu de ces colonnes l'aura compris, Luis Mazzantini est abordé dans l'ouvrage en question. Ce qui semble toutefois évident, étant donné les implications du torero dans la cité.
L'on pourra toutefois regretter qu'il n'en soit pas écrit de réels détails sur les supposées influences de la franc-maçonnerie envers les prestations tauromachiques de Don Luis, puisque ceci est avancé dans l'ouvrage. La carrière taurine que nous connaissons du maestro, serait une nouvelle fois le résultat d'une influence de ses frères francs-maçons envers le monde taurin afin de lui obtenir des contrats. Sachant que aussi bien chez les taurinos que chez les contempteurs de l'art de Cuchares, les francs-maçons y furent présents, l'on éprouve quelques difficultés aujourd'hui à penser à une influence quelconque de la franc-maçonnerie espagnole sur la carrière tauromachique de Luis Mazzantini. Cela aurait fait grand bruit, mais aussi cela serait définitivement connu à ce jour. Hors, l'on ne peut que constater qu'il ne s'agit que de suppositions reprises depuis les années 1880, soit cent trente ans environ, et jamais véritablement prouvées. L'on peut même s'interroger sur l'origine de ces accusations, car Luis Mazzantini brisait l'image socialement admise des toreros, de plus il n'était pas espagnol pure souche, il fallait donc bien donner des explications sur la carrière taurine réussie d'un homme que rien ne semblait réellement destiner aux ruedos. Quoi de plus facile et pratique, que de songer à une influence maçonnique, un complot, afin d'imposer l'un des leurs, puisque Don Luis était lui-même franc-maçon ?
Bien entendu, cette supposée influence ne s'arrêtait pas aux frontières ibériques, la présence aux cartels parisien du diestro, ainsi qu'à l'inauguration de la plaza de toros de Oran, pour ne mentionner que ces deux exemples, a soulevé le même fantasme de la part de certaines personne de ce côté des Pyrénées. Que dire aussi des propos identiques suite à ses diverses rencontres lors de ses voyages outre Atlantique, comme nous l'avons déjà relevé sur ces colonnes.

Les fantasmes qui entourent encore la carrière tauromachique de Luis Mazzantini, n'empêchent en aucun cas de le considérer, comme le fait Jean-François Batté dans son ouvrage, comme étant l'ultime torero politique.
A l'instar d'autres acteurs des ruedos avant lui, comme Antonio Ruiz « El Somberero » et Manuel Lucas Blanco qui affichèrent leurs idées, au point de sacrifier leurs carrières taurines, Luis Mazzantini s'était lui aussi engagé. Il est connu qu'il se présenta et reçu les suffrages nécessaires à son élection à Madrid en 1906, décision que rapporte dès le 21 octobre 1904 le quotidien « The New-York Times » par une interview qu'accorda Don Luis à l'un des journalistes. Il est certain que ces proximités avec le pouvoir politique tout au long de son parcours dans les arènes, mais aussi ses rencontres avec des personnalités du même milieu sous d'autres latitudes toujours sous le même laps de temps, auraient pu avoir des conséquences néfastes pour notre torero. Force est de constater que hormis des accusations d'implication de la franc-maçonnerie dans sa carrière, ou bien celles de la grande proximité du maestro avec l'élite politique mais aussi des arts, rien ne vint grandement entacher la carrière taurine de Don Luis. Contrairement à d'autres de ses confrères taurins, il arriva à mener la carrière que l'on sait, tout en affichant ses idéaux sociétaux. Ceci étant, n'ayons pas peur des mots, probablement le fruit d'une certaine intelligence d'esprit, qui lui permis de tout concilier sans toucher aux diverses susceptibilités des diverses personnalités qu'il rencontra.

Torero politique, Luis Mazzantini était donc le dernier dans sa mouvance, car ceux qui après lui étaient de grande notoriété et se sont affichés auprès des différents régimes, l'ont fait plus par soucis de confort quotidien que par une réelle fibre militante au point de tout sacrifier pour leur cause idéologique.

Outre la politique politicienne, Luis Mazzantini est tout de même l'auteur avec Antonio Reverte, d'un acte politique tauromachique fort, qui est encore présent de nos jours. Afin d'aller contre « Guerrita », figura du moment que d'aucuns accusaient de se garder les meilleurs toros lors des corridas, les deux maestros imposèrent le sorteo. Par soucis de probité, Don Luis mena le combat contre les gens influant du mundillo de l'époque, pour faire imposer le principe d'équité avec l'attribution par tirage au sort des toros combattus. Par ce geste, il permit la fin d'un pouvoir sur la tauromachie. Ce fût une façon de donner plus de droits politiques aux toreros dans l'exercice de leurs fonctions. Ils ne furent plus relégués en troisième zone, et purent à partir de l'application du sorteo, posséder le pouvoir de participer à l'action du partage équitable des lots des toros.

Luis Mazzantini était bien un torero politique, au sens noble du terme. Un matador dont la carrière ne fût pas plus influencée par quelques actions de l'ombre, que celles rencontrées dans les tractations des contrats des toreros « modernes ». Mais il est vrai que lorsque le parcours d'une personne n'entre pas dans la normalité sociétale, que la réussite n'est pas communément comprise, il faut bien lui trouver des explications admissibles par tous.


« Politique et tauromachie, de Charles Quint à Juan Carlos », de Jean-François Batté, éditions UBTF (1993). ISBN: 2-909521-03-6

mercredi 3 février 2010

Des combats de taureaux sans matador.


Au mois d'avril 2009, un journal gratuit, reprenait dans ses pages un article sur les combats de taureaux sans matador , organisés en Corée du Sud.

Le texte en question, reprenant celui publié dans « Courrier International » et provenant cette fois de l'un de ces journaux gratuits faisant le trie à notre place des nouvelles essentielles de l'actualité, n'est pas issu des outils dans lesquels l'information est ici principalement puisée. Mais ayant été procuré par une anti-taurine, militante écologiste encartée, possédant de grandes qualités humaines hormis lorsqu'il s'agit de vanter son idéal sociétal qui en la circonstance frise le dogme (comme très souvent dans l'engagement politique et en particulier dans cette mouvance), le texte a attiré l'attention. D'autant plus qu'il n'y avait aucun prosélytisme anti-tauromachique dans la démarche de cette militante verte, mais plutôt, voyant le titre de l'article en question, une pensée envers un collègue de travail qu'elle sait être aficionado a los toros.

En haut de page du texte, le gouvernement veut légaliser les paris sur les combats de taureaux. Contrairement à la tauromachie, ce spectacle n'implique pas la mort de l'animal vénéré à la campagne. Si l'on osait, l'on pourrait écrire, la messe est dite... car cette seule phrase en dit long. Elle en dit long sur la méconnaissance et le cliché que portent sur nous non seulement nos contempteurs, mais aussi la globalité des esprits mêmes les plus attentionnés. Tout d'abord, cela laisse supposer qu'il n'existe qu'une seule sorte de tauromachie, celle dite espagnole, avec la mort du taureau. Mais aussi, cela sous entend que le taureau dans ce genre de combat est vénéré, et non pas dans la corrida de toros qui nous intéresse. Nous tournons une nouvelle fois autour du problème de la perception de la mort de l'animal, et à travers cette dernière, la notre. Sujet parfaitement occulté dans notre société contemporaine, depuis l'avènement de la mort cachée, principe développé par Philippe Ariès.

La poursuite de la lecture du texte en question interpelle aussi l'aficionado a los toros, même si le combat des taureaux de Corée du Sud diffère avec celui que livre le toro bravo dans l'arène, il n'en demeure pas moins que l'on trouve des points communs entre ces deux pratiques du combat de bovidés.

L'un des éleveurs nous dit qu'il va parcourir son pays afin de dénicher le veau qui deviendra un combattant, une sélection basée sur de seuls critères physiques. Ensuite il explique sa façon de nourrir ses protégés à base d'un régime bien spécifique, surtout végétarien mais complété par du poisson et autres poulpes (ceci interpellant tout de même sur le fait que des ruminants ingurgites autre chose que de l'herbe). L'éleveur donne quelques exemples de la préparation physique des bovidés pour le combat, l'entraînement qu'il leur fait subir. La sélection n'a rien à voir avec notre tauromachie, par contre, la recherche à la préparation alimentaire et physique, est commune à quelques ganaderos de toros bravos. Et l'on peut s'interroger sur la nécessité d'une préparation alimentaire et physique, dans le cadre du taureau sud coréen ou bien dans celui du toro bravo, car rechercher de telles fins, occulte les propensions naturelles de l'animal pour le combat. En voulant le préparer comme n'importe quel être humain sportif, il est appliqué un anti-spécisme que ne renieraient pas les plus ardents défenseurs de cette vison sociétale.

Devant la baisse d'intérêt des coréens du sud pour le combat des taureaux qui a pourtant été très apprécié dans les campagnes, afin de concurrencer la passion des citoyens pour le football, le baseball, l'internet, les autorités ont décidé d'autoriser les paris sur ce genre de combats entre bovidés. L'élevage du taureau coréen, comme celui de n'importe quel toro de lidia, est très couteux. Le propriétaire d'un taureau vainqueur d'un tournoi national, reçoit en moyenne 5750 euros de prime, pendant que les autres finalistes perçoivent de 155 à 270 euros. L'ouverture des paris sur les combats, ose laisser imaginer une manne financière non dénuée d'intérêt pour l'ensemble des éleveurs. L'on peut aisément imaginer après la tentative des corridas sin sangre dernièrement aux Etats-Unis, des organisateurs non scrupuleux que l'idée des paris vienne titiller. 50 contre 1 que tel torero gracie son « adversaire » cette après-midi, ou bien 10 contre 1 qu'il coupe deux oreilles...
Pendant que les hommes lancent les paris, les taureaux attendent autour de l'arène, et les pom-pom girls amusent le public. L'histoire ne dit pas si elles s'affublent d'un foulard autour du cou...

Après ce très rapide aperçu de cet article sur le combat de taureaux en Corée du Sud, l'on constate que là-bas aussi la chose taurine évolue, comme la tauromachie que nous connaissons dans les pays pratiquants l'art de Cuchares. Une évolution pour ces pays, remontant à plusieurs décennies, en ce qui concerne le toro bravo. Le triste constat, est que dans les deux cas, l'essence même du combat est gommée, afin que l'animal ne soit qu'un faire valoir ou seul l'homme doit briller. L'éleveur en Corée, le ganadero et le torero chez nous.