mercredi 10 février 2010

Politique et tauromachie, donc forcément Luis Mazzantini.


Il y a dix-sept ans, « l'Union des Bibliophiles Taurins de France » publiait un ouvrage écrit par Jean-François Batté et intitulé « politique et tauromachie, de Charles Quint à Juan Carlos »*.

Dans ce livre, l'auteur soulève les liaisons intimes, et parfois dangereuses, que connurent la politique et la tauromachie au regard de l'histoire de l'Espagne. Tout au long des plus de cent-vingt pages, il est démontré avec une grande minutie que la corrida de toros n'est ni faciste, ni conservatrice ou libérale, qu'elle est tout simplement Une. Tellement Une, qu'elle est mêlée, avec tout ce qu'elle représente socialement, aux intrigues et convoitises des différents régimes politiques. Subissant du coup, les influences plus ou moins néfastes des uns et des autres. L'anti-flamenquisme associé aux guerres qui se déroulèrent au même moment, le pouvoir de Primo de Rivera, la République suivie de la dictature de 1936, et maintenant les enjeux des alliances abolitionnistes politicos-écologistes, en sont des aspects très révélateurs.

Au titre de ce billet, le visiteur assidu de ces colonnes l'aura compris, Luis Mazzantini est abordé dans l'ouvrage en question. Ce qui semble toutefois évident, étant donné les implications du torero dans la cité.
L'on pourra toutefois regretter qu'il n'en soit pas écrit de réels détails sur les supposées influences de la franc-maçonnerie envers les prestations tauromachiques de Don Luis, puisque ceci est avancé dans l'ouvrage. La carrière taurine que nous connaissons du maestro, serait une nouvelle fois le résultat d'une influence de ses frères francs-maçons envers le monde taurin afin de lui obtenir des contrats. Sachant que aussi bien chez les taurinos que chez les contempteurs de l'art de Cuchares, les francs-maçons y furent présents, l'on éprouve quelques difficultés aujourd'hui à penser à une influence quelconque de la franc-maçonnerie espagnole sur la carrière tauromachique de Luis Mazzantini. Cela aurait fait grand bruit, mais aussi cela serait définitivement connu à ce jour. Hors, l'on ne peut que constater qu'il ne s'agit que de suppositions reprises depuis les années 1880, soit cent trente ans environ, et jamais véritablement prouvées. L'on peut même s'interroger sur l'origine de ces accusations, car Luis Mazzantini brisait l'image socialement admise des toreros, de plus il n'était pas espagnol pure souche, il fallait donc bien donner des explications sur la carrière taurine réussie d'un homme que rien ne semblait réellement destiner aux ruedos. Quoi de plus facile et pratique, que de songer à une influence maçonnique, un complot, afin d'imposer l'un des leurs, puisque Don Luis était lui-même franc-maçon ?
Bien entendu, cette supposée influence ne s'arrêtait pas aux frontières ibériques, la présence aux cartels parisien du diestro, ainsi qu'à l'inauguration de la plaza de toros de Oran, pour ne mentionner que ces deux exemples, a soulevé le même fantasme de la part de certaines personne de ce côté des Pyrénées. Que dire aussi des propos identiques suite à ses diverses rencontres lors de ses voyages outre Atlantique, comme nous l'avons déjà relevé sur ces colonnes.

Les fantasmes qui entourent encore la carrière tauromachique de Luis Mazzantini, n'empêchent en aucun cas de le considérer, comme le fait Jean-François Batté dans son ouvrage, comme étant l'ultime torero politique.
A l'instar d'autres acteurs des ruedos avant lui, comme Antonio Ruiz « El Somberero » et Manuel Lucas Blanco qui affichèrent leurs idées, au point de sacrifier leurs carrières taurines, Luis Mazzantini s'était lui aussi engagé. Il est connu qu'il se présenta et reçu les suffrages nécessaires à son élection à Madrid en 1906, décision que rapporte dès le 21 octobre 1904 le quotidien « The New-York Times » par une interview qu'accorda Don Luis à l'un des journalistes. Il est certain que ces proximités avec le pouvoir politique tout au long de son parcours dans les arènes, mais aussi ses rencontres avec des personnalités du même milieu sous d'autres latitudes toujours sous le même laps de temps, auraient pu avoir des conséquences néfastes pour notre torero. Force est de constater que hormis des accusations d'implication de la franc-maçonnerie dans sa carrière, ou bien celles de la grande proximité du maestro avec l'élite politique mais aussi des arts, rien ne vint grandement entacher la carrière taurine de Don Luis. Contrairement à d'autres de ses confrères taurins, il arriva à mener la carrière que l'on sait, tout en affichant ses idéaux sociétaux. Ceci étant, n'ayons pas peur des mots, probablement le fruit d'une certaine intelligence d'esprit, qui lui permis de tout concilier sans toucher aux diverses susceptibilités des diverses personnalités qu'il rencontra.

Torero politique, Luis Mazzantini était donc le dernier dans sa mouvance, car ceux qui après lui étaient de grande notoriété et se sont affichés auprès des différents régimes, l'ont fait plus par soucis de confort quotidien que par une réelle fibre militante au point de tout sacrifier pour leur cause idéologique.

Outre la politique politicienne, Luis Mazzantini est tout de même l'auteur avec Antonio Reverte, d'un acte politique tauromachique fort, qui est encore présent de nos jours. Afin d'aller contre « Guerrita », figura du moment que d'aucuns accusaient de se garder les meilleurs toros lors des corridas, les deux maestros imposèrent le sorteo. Par soucis de probité, Don Luis mena le combat contre les gens influant du mundillo de l'époque, pour faire imposer le principe d'équité avec l'attribution par tirage au sort des toros combattus. Par ce geste, il permit la fin d'un pouvoir sur la tauromachie. Ce fût une façon de donner plus de droits politiques aux toreros dans l'exercice de leurs fonctions. Ils ne furent plus relégués en troisième zone, et purent à partir de l'application du sorteo, posséder le pouvoir de participer à l'action du partage équitable des lots des toros.

Luis Mazzantini était bien un torero politique, au sens noble du terme. Un matador dont la carrière ne fût pas plus influencée par quelques actions de l'ombre, que celles rencontrées dans les tractations des contrats des toreros « modernes ». Mais il est vrai que lorsque le parcours d'une personne n'entre pas dans la normalité sociétale, que la réussite n'est pas communément comprise, il faut bien lui trouver des explications admissibles par tous.


« Politique et tauromachie, de Charles Quint à Juan Carlos », de Jean-François Batté, éditions UBTF (1993). ISBN: 2-909521-03-6

1 commentaire:

pedrito a dit…

En 1958, j'habitais Roubaix, résultat de ma première nommination dans les PTT de l'époque: je travaillais à Croix, filature des Trois Suisses, et souvent nous allions, mes copains et moi, après notre repas du midi, dans un petit bistrot à quelques dizaines de mètres de l'usine. Pour moi, un rite, je glissais une pièce dans la boîte à disques, pour écouter invariablement:
EL GATO MONTÈS
et
EL GRAN REVERTE.
A ce moment-là, ces mots à la consonnance envoûtante n'avaient aucun sens, mais la musique me ramenait aux arènes de VIC FEZENSAC
Depuis, j'ai appris qui ils étaient
l'un et l'autre, grâce à des lectures, comme celle du texte de Lionel aujourd'hui.
Bravo, et abrazo