dimanche 22 novembre 2009

Arènes sanglantes, suite...


Il y a quelques semaines maintenant, il a été proposé sur ces colonnes, une approche peu commune du livre de Vicente Blasco Ibañez, « Arènes sanglantes » (Sangre y arena). Nous avons abordé dans ce premier article, les représentations de certains acteurs taurins en rapport avec le monde maçonnique que connaissait l’auteur, mais aussi une perception de l’approche des voyages symboliques faite par l’écrivain franc-maçon ibérique dans les premières pages de son livre.

Poursuivant la lecture de cette œuvre, l’on ne peut s’empêcher de s’interroger sur la possibilité de nouvelles allusions de Blasco Ibañez vis à vis de la franc-maçonnerie, dans ce texte abordant la tauromachie.
Et l’on constate qu’après avoir décrit les alguazils effectuant le despejo, l’auteur évoque la vision que les toreros ont lorsque ces derniers sont dans la patio de caballos, à l’instant où ils vont entrer dans le ruedo. L’auteur écrit que les portes de la voûte s’ouvrirent complètement, et c’est alors qu’apparût aux toreros le redondel large cercle sablé où allait se jouer la tragédie. Viennent alors à l’esprit les descriptions des cérémonies initiatiques relatées dans divers ouvrages, et notamment dans la littérature abondante d’auteurs francs-maçons. N’est-il pas fait allusion ici à la surprise des premiers instants où le postulant aperçoit le monde qui l’entoure, lorsque le bandeau tombe et que sa vision s’ouvre à l’ensemble du décor et de l’assistance, telle la voûte de la porte du patio de caballos qui, ouverte, permet aux acteurs taurins de voir la piste mais aussi les différents aficionados qui ont pris places. Ce rapprochement entre le moment où les toreros vont entrer dans le temple taurin et les premiers instants du candidat à l’initiation maçonnique, comme le vivent les francs-maçons et donc comme l’a vécu Vicente Blasco Ibañez, est renforcé dans le texte par cette phrase et les toreros dont les yeux clignaient, éblouis par cette violente transition, sortirent de l’ombre à la lumière. Ceci est l’exacte description des nombreux ressentis de la plupart des francs-maçons lorsque l’on discute avec eux, et que ces derniers livrent leurs impressions initiatiques au moment où ils découvrent ce monde nouveau. L’écrivain semble ainsi établir une similitude entre les premiers pas des toreros dans les arènes, et ceux des nouveaux francs-maçons dans leurs temples.

Si la rédaction et la publication des aventures taurines de Juan Gallardo se déroule pendant la période anti-flamenquiste, il nous faut pour être tout à fait honnête, souligner que Blasco Ibañez laisse poindre dans son récit, ce que l’on peut penser être une certaine aversion tauromachique. Mais contrairement à une grande majorité des détracteurs taurins, qu’ils aient été ses contemporains ou qu’ils soient du début du XXIè siècle, l’on constate à lire l’écrivain qu’il porta tout de même un réel désir de connaître le monde taurin, au point de ne pas réaliser un bas amalgame rejetant en bloc les matadors, les spectateurs et toute la force de la symbolique tauromachique. Ceci, sûrement afin de ne pas occulter les différents aspects symboliques auxquels ils n’étaient pas insensible, étant donné son engagement philosophique. Une approche allégorique, bien mieux réalisée que par certains aficionados ou se prétendants tels.
C’est pour cela que malgré les critiques envers les attitudes d’aficionados ou bien d’acteurs taurins, Blasco Ibañez évoque dans son récit à propos des toreros entrants dans la plaza de toros, qu’à mesure qu’ils cheminaient, dans l’arène, les toreros se sentaient d’autres hommes. Ils exposaient leurs vies pour autre chose que de l’argent. Les hésitations, la terreur de l’inconnu, ils avaient laissé tout cela derrière la clôture. Cette description n’est pas elle aussi, sans faire songer à une vision maçonnique. Il est dit dans divers ouvrages consacrés à la symbolique de cette institution issue du siècle des Lumières, que les initiés cheminent intellectuellement tout au long de leur parcours maçonnique, mais aussi qu’ils sont d’autres hommes et femmes que si ils étaient restés profanes. L’on peut aussi très bien faire le parallèle avec les hésitations et la peur, que rencontrent toute personne intéressée par un cheminement philosophique. Comme le matador hésite et a peur pendant la lidia, l’initié hésite dans ses réflexions et a parfois peur dans son étude de l’approche de la mort. Mais tous possèdent cette attitude commune, pour les toreros de laisser leur être profane à la tauromachie derrière la clôture, et les francs-maçons de ne pas faire entrer leurs a priori et leurs quotidiens dans le temple.

Lors de la narration de la première corrida du matador Juan Gallardo, personnage central de l’œuvre dont il est question, il est amusant de noter que l’auteur n’a pu s’empêcher de faire sous-entendre ce que peuvent lui renvoyer certains hommes à propos des croyances religieuses. N’écrit-il pas, concernant des aficionados fervents admirateurs de tel ou tel torero, qu’ils s’indignaient avec la furieuse intolérance du croyant qui voit mettre en doute les miracles de son saint. Si l’orientation de l’idéal philosophique de l’auteur n’est pas ici clairement exprimé, c’est à dire adogmatique, cela en reste bien imité.

Bien entendu, il nous est impossible d’affirmer que Vicente Blasco Ibañez voulut réellement laisser poindre des similitudes entre la franc-maçonnerie et la tauromachie dans l’écriture de son roman. A ceci, seul l’auteur pourrait répondre, et donc cette interrogation restera toujours en l’état. Mais la lecture des deux premiers chapitres, avec pour scène centrale la corrida de toros dans les arènes de Madrid, peut laisser imaginer que cette dernière puisse être en quelques points une allégorie d’une réunion de francs-maçons. De plus, il est intéressant de noter que l’écrivain cadre la course par des scènes que l’on retrouve dans l’environnement de réunions. En début du roman, Juan Gallardo aime à se retrouver dans la salle à manger de l’hôtel, observant les personnes qui s’y trouvent, assistant à des conversations de groupes formés par affinités. Mais aussi, une fois habillé, il est invité par un garçon de l’hôtel, à prendre place dans la voiture qui doit le mener aux arènes. Un garçon d’hôtel en guise de maître de cérémonie, invitant le maestro à aller prendre place au milieu du collège formé par la cuadrilla. A la fin du chapitre II, lorsque le matador retourne à sa chambre d’hôtel on le retrouve entouré d’une foule de personnes, interpellé sur la qualité de sa prestation dans le temple taurin. Ceci comme un conférencier est souvent interpellé par quelques personnes de l’auditoire, afin de poursuivre le débat sur le sujet évoqué par lui.

Dans le récit de la corrida de toros madrilène en ouverture du roman, l’écrivain franc-maçon qu’était Vicente Blacso Ibañez, fait part d’altercations émanant des spectateurs. Il est alors amusant de constater qu’elles proviennent des seuls tendidos 3 et 5. C’est alors que se pose une question pour l’aficionado a los toros curieux, pourquoi le choix de ces numéros de tendidos et non pas d’autres. Pourquoi est-ce au tendido 3, chiffre de l’apprenti franc-maçon, il y a du grabuge ? Pourquoi est-ce au tendido 5, chiffre du compagnon franc-maçon, que l’on se cogne ?
Si un lecteur ou une lectrice de ces colonnes possède un début de réponse…

(A suivre…)

lundi 16 novembre 2009

Union des Bibliophiles Taurins de France, la "Gazette" numéro 48.


Les premiers jours de ce mois de novembre 2009, viennent de voir paraître le numéro 48 de la « Gazette », revue interne des membres de l’Union des Bibliophiles Taurins de France.
Cette association est née le 1er février 1977, sur l’initiative de Auguste Laffront (Paco Tolosa), Paul Casanova, Pierre Dupuy, Jean-Louis Lopez, Jacques Thome et Marc Thorel. Comptant à ce jour 160 socios, l’association est forte de cinquante-six ouvrages publiés, sans compter les numéros de la revue « Gazette ». Les ouvrages édités par l’U.B.T.F., le sont dans les domaines tels que l’histoire des villes taurines françaises, l’histoire taurine générale, la bibliophilie-bibliographie taurine, les arts et la littérature tauromachique, les biographies et essais sur le monde des toros. Ces publications sont toutes le fruit d’un travail des plus sérieux de chacun des auteurs, et font références dans le domaine taurin. Des ouvrages à tirages limités, des pièces rares que l’on peine à se procurer une fois les exemplaires épuisés, car il n’y a pas de réimpression .

L’Union des Bibliophiles Taurins de France, organise depuis 2002 un colloque qui se déroule tous les deux ans, et dont l’une des particularités, est de pouvoir écouter comme conférenciers des seuls membres de l’association. Le dernier en date, le IVè colloque, s’est déroulé le samedi 08 novembre 2008 à Mauguio dans le département de l’Hérault, et ce sont les actes de ce colloque que propose le numéro 48 de la « Gazette ».

L’on trouve en introduction à ce numéro, un hommage à Jean François, membre de l’association, collectionneur de cartes postales taurines, auteurs de livres tauromachiques. Un vibrant hommage, qui lui a été rendu lors du dernier colloque.

Viennent ensuite les différentes communications qui ont pu être écoutées lors de ce IVè colloque de l’U.B.T.F. C’est Marc Thorel qui ouvre cette publication des actes, comme il ouvrît plaza lors du colloque, avec une communication intitulée « Le costume des toreros français « historiques » (1890-1910), d’après les cartes postales de la collection de Jean François ». Partant du constat que les toreros français de l’époque, avaient pris soin de quelques libertés vis à vis de la corrida de toros de leurs cousins ibériques, libertés ayant pour sources divers facteurs, Marc Thorel a poussé ses investigations sur une éventuelle évolution du traje de luce de nos aïeux. C’est ainsi que nous voyageons aux grés des trajes, de Bayard à Maria Gentis en passant par « Pouly » et Paul Grégroire, et que nous est narrée tout en étant illustrée de reproductions de clichés de l’époque, l’évolution du costume des toreros français, depuis la montera jusqu’aux zapatillas.

C’est ensuite au tour de Jean-Yves Bauchu de présenter une communication intitulée « Christian Dedet, médecin, écrivain, tauromache… », dans lequel il nous livre le parcours du médecin-écrivain démarrant le 12 janvier 1959, jour où il reçoit une lettre qui orientera sa vie. Christain Dedet verra publié son premier roman « Le plus grand des taureaux », puis « La fuite en Espagne », « Passion tauromachique », ainsi que divers écrits taurins du médecin-écrivain que nous raconte le docteur Jean-Yves Bauchu. Il nous parle de son confrère, qu’il a longuement rencontré, non pas sous la forme d’un simple résumé de lecture, mais bien en qualité de bibliophile taurin, en découvrant le sens profond de chacun des textes. Pour conclure son propos, le conférencier apporte des réponses à quelques interrogations, qu’il livre à la sagacité de l’auditoire.

La troisième communication sera ici volontairement passée sous silence. Le lecteur assidu de ces colonnes comprendra aisément pourquoi, surtout lorsqu’il saura que le titre en est «La puya, l’équerre et le compas : quand la franc-maçonnerie et la tauromachie se rencontrent ». Il sera juste souligné ici, que Marc Thorel a illustré cette communication que j’ai eu le plaisir de présenter, par une photographie très rare de Luis Mazzantini, dont le traje de luce est orné de deux colombes.

Le cartel des actes du IVè colloque de l’U.B.T.F., se poursuit avec la communication de Jacques Dalquier qui devrait aussi intéresser les amateurs de l’histoire méridionale, s’intitulant « Gaston Phoebus, empresa ? »
Jacques Dalquier fait référence à une note de bas de page de Pierre Duffaut dans son ouvrage « Histoire de Mazères », ou il est question de spectacles prodigués par Gaston Phoebus envers le Roi, dont des courses de taureaux. Le conférencier nous livre l’origine de cette citation, remontant à 1832, suite à la publication de « Voyages à Rennes-les-Bains » de Labouisse-Rochefort. Reprenant le passage de ce livre dans lequel il est question du combat des hommes et des taureaux, avec toute la verve et l’imagination de l’auteur érudit et imaginatif du XIXè siècle, Jacques Dalquier offre les clés d’une plus vaste investigation pour les aficionados a los toros passionnés d’histoire.

Il est à présent question dans ce numéro de la « Gazette » de l’U.B.T.F., d’une communication intitulée « Une lettre de Laurent Tailhade », nous narrant une missive autographe de l’écrivain, que découvrit Jean-Claude Lassalle, lorsqu’il acheta un exemplaire de l’édition originale du livre « La corne et l’épée ». Une lettre, dans laquelle il est bien entendu question de corrida, corrida à laquelle l’écrivain doit assister. Une course se déroulant à San Sébastian. Dans cette missive, l’écrivain connût aussi pour ses engagements anarchistes et maçonniques, décrit l’ambiance qui entoure ces journées taurines. Après un large tour d’horizon de la personnalité de l’auteur, Jean-Claude Lassalle nous apporte, fort de précieuses recherches effectuées, de nombreuses informations concernant cette lettre. Le conférencier termine sa communication, en abordant la vision tauromachique de Laurent Tailhade, auteur prolixe dans le domaine taurin.

Profitant d’enrichir le sujet, ce numéro 48 de la revue des bibliophiles taurins hexagonaux, propose un texte de Marc Thorel nous offrant une étude des « Taureaux de Tailhade ». Etude relatant la vingtaine de textes ouverts sur la tauromachie, que l’écrivain offrit de son vivant.

Lors de ce IVè colloque, Jean-Louis Rouyre, co-auteur du « Dictionnaire Pertus »*, présenta une communication sous le titre « En marge du Pertus ». L’on y trouve une présentation tauromachique de personnalités ayant écrits ou été plus ou moins intéressés par les taureaux, comme Leicester Hemingway (frère d’Ernest), Paul Reboux, Jules Renard, Paul Guth, et quelques autres. Mais avant tout des personnes dont les écrits et paroles sur le monde taurin, ne feront jamais d’elles des personnalités taurines, donc bien en marges des auteurs référencés dans le « Dictionnaire Pertus ».

« Hugo, Delacroix, et quelques autres contre les corridas, (retour sur une maltraitance intellectuelle) », tel est le titre de la dernière communication de ce VIè colloque de l’U.B.T.F., présentée par Jean-Louis Marc.
Observant la recrudescence médiatique des propos des anti-taurins lors de l’année 2007, le conférencier propose une halte sur les forfaitures intellectuelles que sont la ralliement posthume de plumes comme, entre autre, Victor Hugo. A partir d’écrits d’universitaires abhorrant la tauromachie, le conférencier démontre les manques historiques et littéraires sur les origines des propos présentés comme étant le fruit de l’un des grands noms de la littérature française.

A la vue de ce rapide tour d’horizon des diverses publications reproduites dans ce numéro 48 de la revue interne de l’U.B.T.F., l’aficionado a los toros pourra constater tout l’intérêt que peut lui en apporter la lecture. Même si cette revue n’est publiée qu’envers les membres de l’association, espérons que quelques aficionados a los toros auront la possibilité d’en ouvrir les pages à l'occasion de diverses rencontres.

*Dernière publication de l’Union des Bibliophiles Taurins de France, présentée sur ces colonnes par un article mis en ligne le 04 juin 2009.

dimanche 8 novembre 2009

Un Mazzantini peut en cacher un autre.


Si l’on voulait jouer au jeu de cartes des sept familles, l’on trouverait satisfaction avec le patronyme de Mazzantini. Nous aurions Margaret, écrivaine contemporaine qui reçut en Italie lors de l’année 2002, l’équivalent du prix Goncourt français à savoir le "Premio Strega", avant d’être publiée dans l’hexagone deux ans plus tard. Toujours en Italie et toujours comme contemporain, un dénommé Thomas Mazzantini excelle en qualité d’auteur de plusieurs romanzi fantasy. Il est curieux de noter que comme pour le Mazzantini torero qui nous intéresse et qui était de double origines italo-espagnole, Margaret et Thomas sont les fruits d’amours issus de deux cultures, la première est d’origine italo-irlandaise, et le second italo- suisse.

Dans la "famille" Mazzantini, l’aficionado a los toros trouvera aussi Santos Perice Parilla Mazzantini, matador des années 60-70. Toutefois, le plus connu des Mazzantini reste Don Luis, torero que l’on ne présente plus sur ces colonnes. Mais ce dernier personnage, occulte bien souvent dans l’histoire tauromachique un autre Mazzantini qui se produisit dans les ruedos, à savoir Tomas, son propre frère de sang.
Il faut bien se garder à ne pas confondre Tomas Mazzantini, qui nous intéresse aujourd’hui, avec Tomas Fernandez Alarcón "Mazzantinito" (1879-1916), qui fût lui aussi un excellent banderillero, et dont l’aficionado a los toros français notera qu’il mit entre autre ses qualités au service de Félix Robert à Madrid le 2 mai 1899.

Tomas Mazzantini, est né le 21 décembre 1862, jour symbolique du solstice d’hiver. Il fût considéré comme l’un des meilleurs subalternes de sa génération, L’on notera que Tomas, est lui aussi connu pour être en la calle d’une vêture des plus raffinée, mais à ce jour, personne ne sait lequel influença l’autre. Sa tenue vestimentaire n’a rien à envier à celle de son frère, Tomas est décrit de façon toute aussi élégante.

Toutefois il est dit que c’est en voyant son frère aîné devant les toros que Tomas s’essaya dans les capeas à l’art de Cuchares. Il revêtit pour la première fois le traje de luces en 1882 à Palencia ou Zamora, le quotidien "El Ruedo" ne peut l’affirmer. Il fît ensuite sa présentation à Madrid en qualité de banderillero en 1883, aux ordres de Joaquin Sanz, lors d’une novillada célébrée le 25 février devant du bétail de Carriquiri. Toujours en novillada, à Tarazona au mois d’août de la même année, les reseñas relèvent que le meilleur travail de la tarde fût effectué par Tomas Mazzantini avec ses prestations à la cape comme aux palos. Tomas reçoit sa première cogida sérieuse avec notamment des contusions à la tête, le 17 septembre à Tomelloso.
Tomas Mazzantini fait l’unanimité chez les critiques taurins, mentionné pratiquant le quiebro, et aussi mal los banderilleros, excepto Tomas. Une unanimité qui pousse son frère Luis à lui proposer de le rejoindre dans sa cuadrilla pour la temporada sud-américaine 1883-1884. De l’autre côté de l’océan, le cadet des Mazzantini est fortement apprécié et applaudi.
En 1885, Tomas passe de l’autre côté en prenant les trastos à Madrid, pour une novillada donnée le 8 décembre, avec du bétail de Juan Moreno de Arcos de la Frontera. Mais ensuite il reprend vite sa fonction de banderillero pour une carrière auréolée de succès dans cette fonction.

Il est souvent dit que Lagartijo et Luis Mazzantini, tuèrent beaucoup de toros grâce aux qualités des prestations dans leurs cuadrillas respectives de Juan Molina et de Tomas Mazzantini. L’on trouve trace de Tomas lorsqu’il actua aux côtés de son frère, comme lors de la corrida du 2 août 1885 à San Sébastian où Don Luis s’enferma avec six toros. Il figure aussi au cartel de la corrida inaugurale de la plaza de toros de Murcia, au mois de septembre 1887. La date de la corrida inaugurale de Murcia, nous indique que Tomas était donc aux ordres de son frère en 1887, et qu’il y a de très grandes chances qu’il fût de la campagne taurine cubaine évoquée il y a quelques temps sur ces colonnes, lors de laquelle Sarah Bernhard et son frère qui aurait vécu un amour discret.

Il semblerait que la présence de Tomas dans la cuadrilla de Luis est un peu perturbé quelques historiens peut être pas très au fait de la tauromachie, au point d’attribuer au cadet des actes de l’aîné, comme le financement d’édifices à La Havana. Même si plusieurs documents mentionnent Tomas étant l’initiateur à La Havana, avec Basilio Zarasqueta*, de la construction du fronton de la cité. Ceci semble être tout à fait exact, car il était un fervent supporter de ce sport qu’il affectionnait, et Tomas est présenté comme initiateur du projet et non comme financeur. Mais sa fonction de subalterne, même dans la cuadrilla de son propre frère, ne devait tout de même pas lui assurer des revenus permettant des actes de financement d’infrastructures immobilières comme Jai-Alai à La Havana.

Une confusion à laquelle se rajoute par un exemple de présentation du banderillero, comme étant le famoso torero Tomas Mazzantini y Eguia. Constatant cette confusion, il ne faudrait pas que celle-ci ce soit reproduite envers l’amour supposé en l’actrice française et Don Luis. Même si à ce jour l’histoire attribue à Don Luis la visite dans la loge de l’actrice, le billet qu’il reçu d’elle à son hôtel, le doute peut subsister en filigrane.

Voulant poursuivre au sujet de Tomas Mazzantini, sans vouloir pratiquer de la psychologie de comptoir sur ces colonnes, le poids de l’héritage du patronyme de Mazzantini, devant l’importance de la carrière de Luis, devait être lourd à porter pour Tomas. Et l’on retrouve quelque peu cette idée dans un texte de Rainer Maria Rilke, texte intitulé "La infancia es la patria del nombre".
L’auteur prend l’exemple des frères Mazzantini, et le pouvoir de persuasion que pouvait imposer l’aîné envers Tomas. Lors d’une corrida dont la date et le lieu ne sont pas révélés, le bicho étant en querencia aux tablas, les ordres et conseils de Don Luis envers Tomas capote en main, furent vains. Le diestro constata l’impuissance de son cadet, ce dernier la lui faisant remarquer. Avec cet exemple, beaucoup plus développé dans le texte initial, Rainer Maria Rilke fait le lien avec la situation de rébellion que tout individu peut ressentir vis à vis de la capacité de persuasion développée par autrui.

L’histoire ne dit pas si tel fût le cas de la part de Tomas, même si leurs despedidas respectives datent toutes deux de 1905, mais l’on retrouve ce dernier sans son frère au début du XXè siècle. Cette fois-ci Tomas Mazzantini est en compagnie de Pietro Niembro, alors semble-t-il associés comme contratistas de la plaza de toros de Madrid si l’on en croit Antonio Luis López Martinez, auteur de "Ganaderias de lidia y ganaderos : historia y economia de los toros de lidia". Les deux protagonistes que sont Mazzantini et Niembro, semblent avoir été en cette année 1905, à l’origine d’une initiative peu appréciée du monde ganadero de l’époque, mais qui pourtant faisait suite à des pratiques remontant aux années 1790 avec le marquis Casa de Mesa.
Il était question d’acquérir des toros en Andalousie, qu’ils devaient embarquer depuis Sevilla - Empalme o Salteras, vers San Fernando del Jarama dans la province madrilène à destinations de pulsieurs arènes, et poussant même à voir partir plus au nord quelques bichos. Il semblerait que ce soit pour contrer ce genre d’initiatives de monopôles peu appréciées de l’ensemble des ganaderos, et pour donc pour que les éleveurs puissent contrer le contrôle intenté par les empresas, que ce soit créée la "Unión Nacional de Criadores de Toros de Lidia".

Cette année 1905 est donc celle de sa retirada, tout comme celle de son frère Luis. Après l’association avec Niembro, Tomas Mazzantini se rapproche de la ganaderia de Eduardo Alea, dont il mentionné dans le numéro du quotidien "El Ruedo" en date du 30 octobre 1952, donde apodero la ganaderia de don Eduardo Alea (antes Villamarta).

L’on ne sait pas qu’elles sont les relations des deux frères en dehors des ruedos, ni si Tomas fût franc-maçon comme son illustre aîné ou bien même engagé en politique. Mais ce qui est certain, c’est que entre Tomas Mazzantini et son frère, c’est le cadet qui partira le premier pour l’orient éternel, le 26 octobre 1919 au Puerto de Santa Maria.

*Joueur de pelote basque, promoteur de fronton de La Havana.

mardi 3 novembre 2009

"Arènes sanglantes", premières pages.


L’actualité de ce début d’automne, démontre une nouvelle fois qu’il est bien plus facile de s’en prendre à l’afición a los toros qu’aux réalités sociétales. A Barcelona et dans sa région, se joue actuellement l’avenir taurin, et il est désagréable de constater que les anti-taurins ont plus d'écho que ceux qui se battent pour redonner de la dignité dans les quartiers défavorisés de la ville. Un débat sur les corridas de toros au parlement catalan, qui occulte les conditions de vies insalubres que l’on a pu voir à la télévision française dernièrement, lors d’un reportage sur la ville de Gaudi. En Colombie, une mouvance des contempteurs de l’art de Cuchares qui comptait bien arriver à ses fins, vient de se voir infliger un sacré revers par le Tribunal Constitutionnel, la renvoyant dans ses pénates en ne donnant pas suite à une demande d’interdiction des corridas de toros. Ces actions et situations ne sont pas nouvelles, et l’on constate que parallèlement à cela, des intellectuels ont suivi les pas anti-taurins d’une autre manière.

Nous connaissons Miguel de Unamuno, écrivain et anti-flamenquiste notoire, agissant contre le flamenco et la corrida de toros, membre d’une intelligentsia espagnole qui semblait porter un intérêt pour le peuple, mais qui en fait ne cherchait surtout pas à le côtoyer préférant le voir de loin, d’autant plus si il était Gitan. Unamuno dont le discours de Salamanca ne doit pas faire oublier le parcours parfois contradictoire, saluant en son temps l’avènement de Franco mais aussi se prétendant humaniste tout en voulant poser des interdits pour le peuple parce qu’il n’admettait quelques activités de ce dernier. Mais nous reparlerons prochainement sur ces colonnes de Miguel de Unamuno, car à la lecture du discours de Salamanca, il laisse à penser qu’il est pu être franc-maçon ou bien assez proche de ce mouvement. Contradiction supplémentaire chez cet homme si elle était avérée, puisque par ailleurs favorable à des interdits dénués de sens, mais aussi proche d’une personne comme Eugenio Noel, anti-flamenquiste notoire aux pensées intolérantes.

A l’opposé de Unamuno, nous trouvons Vicente Basco Ibañez (Valencia, Espagne, 1867 – Menton, France, 1928), au parcours très clair vis à vis de la dictature franquiste, et ce dès le début. L’auteur de « Arènes sanglantes » (Sangre y arena), n’est plus à présenter en qualité d’homme de lettres. Peu enclin à la tauromachie, il fût aussi connu pour ses idées révolutionnaires et anti-monarchistes. Et choses que l’on sait un peu moins, il fût initié en franc-maçonnerie. Contrairement à Manuel Azaña, franc-maçon dès 1932, mais dont il semblerait qu’il n’est pas été très présent dans la poursuite des travaux maçonniques, Vicente Blasco Ibañez, lui, paraît avoir été assidu dans son engagement philosophique.
Ce qui nous intéresse ici n’est pas le cheminement maçonnique, même si une loge maçonnique à Valencia porte son nom. Le parcours en franc-maçonnerie de Vicente Blasco Ibañez étant facilement accessible pour qui veut le découvrir, bon nombre de sites internet l’abordent. Mais, comme des cinéastes ou bien des acteurs notamment américains (Laurel et Hardy, Spielberg, …), ont laissé poindre leur intérêt pour la franc-maçonnerie dans quelques unes de leurs réalisations, il paraissait intéressant sur ces colonnes, de percevoir comment l’initiation de Blasco Ibañez au sein de ce courant philosophique, aurait éventuellement influencé l’un des romans qui le rendit célèbre et qui intéresse les aficionados a los toros, à savoir « Arènes sanglantes ». Il n’est pas non plus question de chercher à tout prix des juxtapositions maçonniques et tauromachiques dans ce roman, mais de mettre en évidence certains points qui peuvent laisser penser à une influence, ou bien des clins d’œils placés ici ou là, de son vécu en franc-maçonnerie vis à vis de son œuvre.

Et il n’est pas besoin de lire nombre de pages pour trouver matière au sujet, dès les premières lignes Blasco Ibañez nous présente divers personnages, et, coïncidence ou pas, leurs fonctions dans la société civile offrent un parallèle avec quelques fonctions tenues dans une loge de francs-maçons.
Tout d’abord l’on fait connaissance avec le valet d’épée, Garabato, qui peut être associé dans la description qui en est faite, au « maître des cérémonies ».Le rôle du « maître des cérémonies » est, entre autre, de s’assurer que tous les décors et symboles son présents pour l’application rituélique de la réunion maçonnique. Ici, le mozo nous est présenté comme préparant le traje, aidant son torero à s’habiller. Le valet d’épée donne le rythme de l’habillage du torero, tout comme le « maître des cérémonies » temporise les cérémonies de la loge.
Continuant les premières pages du livre, l’on voit entrer dans la chambre du torero, un personnage venant de Bilbao tenant un feutre cordouan à la main, porteur de nombreuses bagues rutilantes de diamants, symbolisant ainsi l’argent, les finances. Cela n’est pas sans faire songer à la fonction de trésorier d’une loge maçonnique.
L’on fait ensuite connaissance avec un dénommé Docteur Ruiz, médecin des arènes de Madrid. Présenté comme l’homme qui depuis trente ans, soigne tous les toreros écharpés sur la « place » de Madrid. Au sein d’une loge maçonnique l’on retrouve son vis à vis avec « l’hospitalier ». En charge de suivre les « frères » dans le besoin, de s’inquiéter de la santé des membres de la loge mais aussi des personnes qui leurs sont proches. Il est à noter que dans ce passage, l’auteur fait un clin d’œil à ses idéaux sociétaux, le médecin étant qualifié de révolutionnaire rêvant d’un républicanisme anarchiste, où il n’y avait de clair que les négations exterminatrices. Ceci a aussi d’intéressant qu’une catégorie de francs-maçons se disent de mouvance anarchiste, même si cela peut paraître au premier abord paradoxal dans un mouvement codifié, ritualisé, mais qui n’est pas si dénué de sens comme le démontre Léo Campion dans son livre « Le drapeau noir, l’équerre et le compas »*.

La première scène d’habillage du héros que l’on découvre dans le livre, juste avant la corrida madrilène, au moment où Juan Gallardo termine de positionner sa ceinture de soie, l’auteur écrit après de nombreuses haltes, le matador arriva enfin au terme du voyage et eut toute la ceinture de soie enroulée à la taille. Cette phrase apparemment anodine dans le contexte tauromachique, puisque naturellement exécutée par les toreros lors de l’habillage, interroge lorsque l’on sait que Blasco Ibañez fût franc-maçon.
Même si il est facile de faire dire bien des choses à un auteur ou artiste sur l’expression de son travail, et encore plus facilement lorsque ce dernier n’est plus là pour nous contredire, l’on peut penser que dans cette scène, l’auteur est voulu réaliser une métaphore avec les voyages symboliques de l’initiation. Ces voyages allégoriques de l’initiation maçonnique, expliqués par des auteurs comme Oswald Wirth ou Jules Boucher, qui précèdent l’instant où l’impétrant se voit revêtir le tablier d’apprenti. Son nouvel habit avec lequel il pourra désormais accomplir le rite, tout comme le torero revêt le traje de luce afin d’accomplir son rite. Il est intéressant de noter que l’allusion aux voyages est faite dès le début du livre, laissant ainsi à penser que si l’auteur a voulu planter un décor maçonnique dans son œuvre, il le fait dans l’ordre chronologique des choses.

Une autre métaphore est employée par Blasco Ibañez, lorsque Gallardo est décrit habillé et fendant la foule pour se rendre vers la calèche qui doit le mener aux arènes. L’auteur exprime que habillé de la sorte, le torero est un autre homme, un homme nouveau. Cela fait songer à ce qui est exprimé à propos de l’homme nouveau qu’est le franc-maçon nouvellement initié, porteur des attributs symboliques que sont le tablier et les gants. Ici aussi cette allusion est présentée au début du récit, comme si cette première scène de l’habillage de Juan Gallardo, permettait au lecteur d’assister à son initiation tauromachique afin de poursuivre l’histoire du torero.

Les premières pages du livre nous invitent à faire connaissance avec des personnages qui ne sont pas anodins, puisque ils occupent des places importantes dans la société mais aussi dans la vie du torero. Ces fonctions, et pas des moindres, que l’on retrouve dans la conception d’une loge maçonnique. Ensuite viennent les allusions aux voyages symboliques, ainsi que l’apparition d’un homme nouveau après l’habillage. Pour qui prête un peu attention aux pensées pouvant être exprimées en filigrane dans un texte, il est à espérer que la poursuite de la lecture de ce classique de la littérature, offre encore quelques matières à juxtaposer avec la passion des toros.

(A suivre)…



*« Le drapeau noir, l’équerre et le compas » de Léo Campion, Éditions Alternatives Libertaires, 2004. Réimpression sous forme de brochure de l’édition de 1997 éditée par la Maison de la Solidarité et de la Fraternité et les éditions Alternatives Libertaires, tirage aujourd’hui épuisé. La première édition date de 1969, sous le titre « Les anarchistes dans la franc-maçonnerie ou Les Maillons Libertaires de la Chaîne d’Union » aux éditions Culture et Liberté. En 1978, ce livre fût publié pour tout public sous le titre qu’on lui connaît, aux éditions Goutal-Darly.