mardi 3 novembre 2009

"Arènes sanglantes", premières pages.


L’actualité de ce début d’automne, démontre une nouvelle fois qu’il est bien plus facile de s’en prendre à l’afición a los toros qu’aux réalités sociétales. A Barcelona et dans sa région, se joue actuellement l’avenir taurin, et il est désagréable de constater que les anti-taurins ont plus d'écho que ceux qui se battent pour redonner de la dignité dans les quartiers défavorisés de la ville. Un débat sur les corridas de toros au parlement catalan, qui occulte les conditions de vies insalubres que l’on a pu voir à la télévision française dernièrement, lors d’un reportage sur la ville de Gaudi. En Colombie, une mouvance des contempteurs de l’art de Cuchares qui comptait bien arriver à ses fins, vient de se voir infliger un sacré revers par le Tribunal Constitutionnel, la renvoyant dans ses pénates en ne donnant pas suite à une demande d’interdiction des corridas de toros. Ces actions et situations ne sont pas nouvelles, et l’on constate que parallèlement à cela, des intellectuels ont suivi les pas anti-taurins d’une autre manière.

Nous connaissons Miguel de Unamuno, écrivain et anti-flamenquiste notoire, agissant contre le flamenco et la corrida de toros, membre d’une intelligentsia espagnole qui semblait porter un intérêt pour le peuple, mais qui en fait ne cherchait surtout pas à le côtoyer préférant le voir de loin, d’autant plus si il était Gitan. Unamuno dont le discours de Salamanca ne doit pas faire oublier le parcours parfois contradictoire, saluant en son temps l’avènement de Franco mais aussi se prétendant humaniste tout en voulant poser des interdits pour le peuple parce qu’il n’admettait quelques activités de ce dernier. Mais nous reparlerons prochainement sur ces colonnes de Miguel de Unamuno, car à la lecture du discours de Salamanca, il laisse à penser qu’il est pu être franc-maçon ou bien assez proche de ce mouvement. Contradiction supplémentaire chez cet homme si elle était avérée, puisque par ailleurs favorable à des interdits dénués de sens, mais aussi proche d’une personne comme Eugenio Noel, anti-flamenquiste notoire aux pensées intolérantes.

A l’opposé de Unamuno, nous trouvons Vicente Basco Ibañez (Valencia, Espagne, 1867 – Menton, France, 1928), au parcours très clair vis à vis de la dictature franquiste, et ce dès le début. L’auteur de « Arènes sanglantes » (Sangre y arena), n’est plus à présenter en qualité d’homme de lettres. Peu enclin à la tauromachie, il fût aussi connu pour ses idées révolutionnaires et anti-monarchistes. Et choses que l’on sait un peu moins, il fût initié en franc-maçonnerie. Contrairement à Manuel Azaña, franc-maçon dès 1932, mais dont il semblerait qu’il n’est pas été très présent dans la poursuite des travaux maçonniques, Vicente Blasco Ibañez, lui, paraît avoir été assidu dans son engagement philosophique.
Ce qui nous intéresse ici n’est pas le cheminement maçonnique, même si une loge maçonnique à Valencia porte son nom. Le parcours en franc-maçonnerie de Vicente Blasco Ibañez étant facilement accessible pour qui veut le découvrir, bon nombre de sites internet l’abordent. Mais, comme des cinéastes ou bien des acteurs notamment américains (Laurel et Hardy, Spielberg, …), ont laissé poindre leur intérêt pour la franc-maçonnerie dans quelques unes de leurs réalisations, il paraissait intéressant sur ces colonnes, de percevoir comment l’initiation de Blasco Ibañez au sein de ce courant philosophique, aurait éventuellement influencé l’un des romans qui le rendit célèbre et qui intéresse les aficionados a los toros, à savoir « Arènes sanglantes ». Il n’est pas non plus question de chercher à tout prix des juxtapositions maçonniques et tauromachiques dans ce roman, mais de mettre en évidence certains points qui peuvent laisser penser à une influence, ou bien des clins d’œils placés ici ou là, de son vécu en franc-maçonnerie vis à vis de son œuvre.

Et il n’est pas besoin de lire nombre de pages pour trouver matière au sujet, dès les premières lignes Blasco Ibañez nous présente divers personnages, et, coïncidence ou pas, leurs fonctions dans la société civile offrent un parallèle avec quelques fonctions tenues dans une loge de francs-maçons.
Tout d’abord l’on fait connaissance avec le valet d’épée, Garabato, qui peut être associé dans la description qui en est faite, au « maître des cérémonies ».Le rôle du « maître des cérémonies » est, entre autre, de s’assurer que tous les décors et symboles son présents pour l’application rituélique de la réunion maçonnique. Ici, le mozo nous est présenté comme préparant le traje, aidant son torero à s’habiller. Le valet d’épée donne le rythme de l’habillage du torero, tout comme le « maître des cérémonies » temporise les cérémonies de la loge.
Continuant les premières pages du livre, l’on voit entrer dans la chambre du torero, un personnage venant de Bilbao tenant un feutre cordouan à la main, porteur de nombreuses bagues rutilantes de diamants, symbolisant ainsi l’argent, les finances. Cela n’est pas sans faire songer à la fonction de trésorier d’une loge maçonnique.
L’on fait ensuite connaissance avec un dénommé Docteur Ruiz, médecin des arènes de Madrid. Présenté comme l’homme qui depuis trente ans, soigne tous les toreros écharpés sur la « place » de Madrid. Au sein d’une loge maçonnique l’on retrouve son vis à vis avec « l’hospitalier ». En charge de suivre les « frères » dans le besoin, de s’inquiéter de la santé des membres de la loge mais aussi des personnes qui leurs sont proches. Il est à noter que dans ce passage, l’auteur fait un clin d’œil à ses idéaux sociétaux, le médecin étant qualifié de révolutionnaire rêvant d’un républicanisme anarchiste, où il n’y avait de clair que les négations exterminatrices. Ceci a aussi d’intéressant qu’une catégorie de francs-maçons se disent de mouvance anarchiste, même si cela peut paraître au premier abord paradoxal dans un mouvement codifié, ritualisé, mais qui n’est pas si dénué de sens comme le démontre Léo Campion dans son livre « Le drapeau noir, l’équerre et le compas »*.

La première scène d’habillage du héros que l’on découvre dans le livre, juste avant la corrida madrilène, au moment où Juan Gallardo termine de positionner sa ceinture de soie, l’auteur écrit après de nombreuses haltes, le matador arriva enfin au terme du voyage et eut toute la ceinture de soie enroulée à la taille. Cette phrase apparemment anodine dans le contexte tauromachique, puisque naturellement exécutée par les toreros lors de l’habillage, interroge lorsque l’on sait que Blasco Ibañez fût franc-maçon.
Même si il est facile de faire dire bien des choses à un auteur ou artiste sur l’expression de son travail, et encore plus facilement lorsque ce dernier n’est plus là pour nous contredire, l’on peut penser que dans cette scène, l’auteur est voulu réaliser une métaphore avec les voyages symboliques de l’initiation. Ces voyages allégoriques de l’initiation maçonnique, expliqués par des auteurs comme Oswald Wirth ou Jules Boucher, qui précèdent l’instant où l’impétrant se voit revêtir le tablier d’apprenti. Son nouvel habit avec lequel il pourra désormais accomplir le rite, tout comme le torero revêt le traje de luce afin d’accomplir son rite. Il est intéressant de noter que l’allusion aux voyages est faite dès le début du livre, laissant ainsi à penser que si l’auteur a voulu planter un décor maçonnique dans son œuvre, il le fait dans l’ordre chronologique des choses.

Une autre métaphore est employée par Blasco Ibañez, lorsque Gallardo est décrit habillé et fendant la foule pour se rendre vers la calèche qui doit le mener aux arènes. L’auteur exprime que habillé de la sorte, le torero est un autre homme, un homme nouveau. Cela fait songer à ce qui est exprimé à propos de l’homme nouveau qu’est le franc-maçon nouvellement initié, porteur des attributs symboliques que sont le tablier et les gants. Ici aussi cette allusion est présentée au début du récit, comme si cette première scène de l’habillage de Juan Gallardo, permettait au lecteur d’assister à son initiation tauromachique afin de poursuivre l’histoire du torero.

Les premières pages du livre nous invitent à faire connaissance avec des personnages qui ne sont pas anodins, puisque ils occupent des places importantes dans la société mais aussi dans la vie du torero. Ces fonctions, et pas des moindres, que l’on retrouve dans la conception d’une loge maçonnique. Ensuite viennent les allusions aux voyages symboliques, ainsi que l’apparition d’un homme nouveau après l’habillage. Pour qui prête un peu attention aux pensées pouvant être exprimées en filigrane dans un texte, il est à espérer que la poursuite de la lecture de ce classique de la littérature, offre encore quelques matières à juxtaposer avec la passion des toros.

(A suivre)…



*« Le drapeau noir, l’équerre et le compas » de Léo Campion, Éditions Alternatives Libertaires, 2004. Réimpression sous forme de brochure de l’édition de 1997 éditée par la Maison de la Solidarité et de la Fraternité et les éditions Alternatives Libertaires, tirage aujourd’hui épuisé. La première édition date de 1969, sous le titre « Les anarchistes dans la franc-maçonnerie ou Les Maillons Libertaires de la Chaîne d’Union » aux éditions Culture et Liberté. En 1978, ce livre fût publié pour tout public sous le titre qu’on lui connaît, aux éditions Goutal-Darly.

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