dimanche 22 novembre 2009

Arènes sanglantes, suite...


Il y a quelques semaines maintenant, il a été proposé sur ces colonnes, une approche peu commune du livre de Vicente Blasco Ibañez, « Arènes sanglantes » (Sangre y arena). Nous avons abordé dans ce premier article, les représentations de certains acteurs taurins en rapport avec le monde maçonnique que connaissait l’auteur, mais aussi une perception de l’approche des voyages symboliques faite par l’écrivain franc-maçon ibérique dans les premières pages de son livre.

Poursuivant la lecture de cette œuvre, l’on ne peut s’empêcher de s’interroger sur la possibilité de nouvelles allusions de Blasco Ibañez vis à vis de la franc-maçonnerie, dans ce texte abordant la tauromachie.
Et l’on constate qu’après avoir décrit les alguazils effectuant le despejo, l’auteur évoque la vision que les toreros ont lorsque ces derniers sont dans la patio de caballos, à l’instant où ils vont entrer dans le ruedo. L’auteur écrit que les portes de la voûte s’ouvrirent complètement, et c’est alors qu’apparût aux toreros le redondel large cercle sablé où allait se jouer la tragédie. Viennent alors à l’esprit les descriptions des cérémonies initiatiques relatées dans divers ouvrages, et notamment dans la littérature abondante d’auteurs francs-maçons. N’est-il pas fait allusion ici à la surprise des premiers instants où le postulant aperçoit le monde qui l’entoure, lorsque le bandeau tombe et que sa vision s’ouvre à l’ensemble du décor et de l’assistance, telle la voûte de la porte du patio de caballos qui, ouverte, permet aux acteurs taurins de voir la piste mais aussi les différents aficionados qui ont pris places. Ce rapprochement entre le moment où les toreros vont entrer dans le temple taurin et les premiers instants du candidat à l’initiation maçonnique, comme le vivent les francs-maçons et donc comme l’a vécu Vicente Blasco Ibañez, est renforcé dans le texte par cette phrase et les toreros dont les yeux clignaient, éblouis par cette violente transition, sortirent de l’ombre à la lumière. Ceci est l’exacte description des nombreux ressentis de la plupart des francs-maçons lorsque l’on discute avec eux, et que ces derniers livrent leurs impressions initiatiques au moment où ils découvrent ce monde nouveau. L’écrivain semble ainsi établir une similitude entre les premiers pas des toreros dans les arènes, et ceux des nouveaux francs-maçons dans leurs temples.

Si la rédaction et la publication des aventures taurines de Juan Gallardo se déroule pendant la période anti-flamenquiste, il nous faut pour être tout à fait honnête, souligner que Blasco Ibañez laisse poindre dans son récit, ce que l’on peut penser être une certaine aversion tauromachique. Mais contrairement à une grande majorité des détracteurs taurins, qu’ils aient été ses contemporains ou qu’ils soient du début du XXIè siècle, l’on constate à lire l’écrivain qu’il porta tout de même un réel désir de connaître le monde taurin, au point de ne pas réaliser un bas amalgame rejetant en bloc les matadors, les spectateurs et toute la force de la symbolique tauromachique. Ceci, sûrement afin de ne pas occulter les différents aspects symboliques auxquels ils n’étaient pas insensible, étant donné son engagement philosophique. Une approche allégorique, bien mieux réalisée que par certains aficionados ou se prétendants tels.
C’est pour cela que malgré les critiques envers les attitudes d’aficionados ou bien d’acteurs taurins, Blasco Ibañez évoque dans son récit à propos des toreros entrants dans la plaza de toros, qu’à mesure qu’ils cheminaient, dans l’arène, les toreros se sentaient d’autres hommes. Ils exposaient leurs vies pour autre chose que de l’argent. Les hésitations, la terreur de l’inconnu, ils avaient laissé tout cela derrière la clôture. Cette description n’est pas elle aussi, sans faire songer à une vision maçonnique. Il est dit dans divers ouvrages consacrés à la symbolique de cette institution issue du siècle des Lumières, que les initiés cheminent intellectuellement tout au long de leur parcours maçonnique, mais aussi qu’ils sont d’autres hommes et femmes que si ils étaient restés profanes. L’on peut aussi très bien faire le parallèle avec les hésitations et la peur, que rencontrent toute personne intéressée par un cheminement philosophique. Comme le matador hésite et a peur pendant la lidia, l’initié hésite dans ses réflexions et a parfois peur dans son étude de l’approche de la mort. Mais tous possèdent cette attitude commune, pour les toreros de laisser leur être profane à la tauromachie derrière la clôture, et les francs-maçons de ne pas faire entrer leurs a priori et leurs quotidiens dans le temple.

Lors de la narration de la première corrida du matador Juan Gallardo, personnage central de l’œuvre dont il est question, il est amusant de noter que l’auteur n’a pu s’empêcher de faire sous-entendre ce que peuvent lui renvoyer certains hommes à propos des croyances religieuses. N’écrit-il pas, concernant des aficionados fervents admirateurs de tel ou tel torero, qu’ils s’indignaient avec la furieuse intolérance du croyant qui voit mettre en doute les miracles de son saint. Si l’orientation de l’idéal philosophique de l’auteur n’est pas ici clairement exprimé, c’est à dire adogmatique, cela en reste bien imité.

Bien entendu, il nous est impossible d’affirmer que Vicente Blasco Ibañez voulut réellement laisser poindre des similitudes entre la franc-maçonnerie et la tauromachie dans l’écriture de son roman. A ceci, seul l’auteur pourrait répondre, et donc cette interrogation restera toujours en l’état. Mais la lecture des deux premiers chapitres, avec pour scène centrale la corrida de toros dans les arènes de Madrid, peut laisser imaginer que cette dernière puisse être en quelques points une allégorie d’une réunion de francs-maçons. De plus, il est intéressant de noter que l’écrivain cadre la course par des scènes que l’on retrouve dans l’environnement de réunions. En début du roman, Juan Gallardo aime à se retrouver dans la salle à manger de l’hôtel, observant les personnes qui s’y trouvent, assistant à des conversations de groupes formés par affinités. Mais aussi, une fois habillé, il est invité par un garçon de l’hôtel, à prendre place dans la voiture qui doit le mener aux arènes. Un garçon d’hôtel en guise de maître de cérémonie, invitant le maestro à aller prendre place au milieu du collège formé par la cuadrilla. A la fin du chapitre II, lorsque le matador retourne à sa chambre d’hôtel on le retrouve entouré d’une foule de personnes, interpellé sur la qualité de sa prestation dans le temple taurin. Ceci comme un conférencier est souvent interpellé par quelques personnes de l’auditoire, afin de poursuivre le débat sur le sujet évoqué par lui.

Dans le récit de la corrida de toros madrilène en ouverture du roman, l’écrivain franc-maçon qu’était Vicente Blacso Ibañez, fait part d’altercations émanant des spectateurs. Il est alors amusant de constater qu’elles proviennent des seuls tendidos 3 et 5. C’est alors que se pose une question pour l’aficionado a los toros curieux, pourquoi le choix de ces numéros de tendidos et non pas d’autres. Pourquoi est-ce au tendido 3, chiffre de l’apprenti franc-maçon, il y a du grabuge ? Pourquoi est-ce au tendido 5, chiffre du compagnon franc-maçon, que l’on se cogne ?
Si un lecteur ou une lectrice de ces colonnes possède un début de réponse…

(A suivre…)

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