dimanche 26 avril 2009

Bernardo Casielles Puerta, torero,franc-maçon et combattant républicain


La tauromachie dans la composition socioprofessionnelle des aficionados, est le reflet de la société. A observer nombre des acteurs du mundillo, qu’ils soient professionnels ou amateurs, l’on constate aussi que les origines sociétales sont diverses. Les toreros n’échappent pas à la règle, l’histoire nous permet même d’en rencontrer qui furent francs-maçons. De José Manzano Pelayo « El Nili » à Luis Mazzantini, figure aussi Bernardo Casielles Puerta, torero asturiano du XXème siècle.

Malgré la dictature de Primo de Rivera qui précéda celle de Franco, la franc-maçonnerie espagnole comptait dans ses rangs bon nombre de membres, dont le père et le frère du futur Caudillo. Les Asturias n’échappaient pas à la règle, et comme partout dans le pays, les membres des loges provenaient de divers horizons.

Bernardo Casielles Puerta, qui nous intéresse dans le présent article, était né à Gijón le 24 juin 1893 (25 juin 1895 d'après le Cossio). Sans aucuns antécédents taurins dans sa famille, il se fît remarquer la première fois dans le ruedo en 1912, en sautant en piste au 5ème taureau d’une corrida où « Manolete » et « Cocherito de Bilbao » toréaient. Plus tard, un dénommé Pepe Zarazúa lui donne l’opportunité de se produire en novillada non piquée, et il se présente à Madrid le 17 juin 1917 en compagnie de « Manolete II » et Zarco. En 1920, il revêt le traje de luce pour 25 novilladas avant de prendre l’alternative à Oviedo le 19 septembre de la même année. Doctorat taurin donné par « Saleri II » qui lui céda le toro « Marqués » de la ganaderia du Duc de Veragua. Le témoin de la cérémonie était Juan Luis de la Rosa. Il confirma l’alternative à Madrid le 26 septembre suivant, des mains de Diego Mazquiarán « Fortuna »devant des toros de Fernando Villalón.
Casielles Puerta toréa avec les meilleurs, comme Belmonte et Marcial Lalanda, et malgré des succès en Espagne et des contrats au Mexique, il arrêta sa carrière une première fois en 1924. Il reprendra l’épée quelques années plus tard, mais le succès de ses débuts ne fût pas au rendez-vous.

En France, nous retrouvons entre autre le maestro asturiano le 26 juin 1921, lors d’une corrida à Béziers où il affrontait des toros de la ganaderia de Alipio Pérez Tabernero, avec comme compagnons de cartel, « Lacalareno » et Isidoro Martin Flores. C’est ce jour-là que fût grièvement blessé à la poitrine Martin Flores, qui ne pût s’empêcher par la suite de se rendre au Vénézuéla. Sa blessure insuffisamment guérie s’aggrava, et il décéda le 6 décembre à Caracas.

Lorsque Bernardo Casielles Puerta fît le paseo dans le ruedo biterrois, il avait été initié en franc-maçonnerie quelques jours avant. C’est le 1er juin 1921 qu’il fût reçu « apprenti franc-maçon » dans la loge « Hispano-america » numéro 379 à l’Orient de Madrid. Loge qualifiée de prestigieuse d’après les spécialistes de la franc-maçonnerie ibérique, qui fût fondée en 1882, année où il est attesté de la présence de Luis Mazzantini dans une loge biterroise. Lors de son initiation, il était d’usage aux francs-maçons espagnols de prendre un nom symbolique, notre torero asturiano prit celui de « Amistad ».
Comme il était souvent le cas, et on le constate encore quelques fois de nos jours, l’accession de Casielles Puerta aux autres degrés initiatiques fût très rapide. Ceci n’est en aucune forme un gage de grande prédisposition intellectuelle, mais plutôt une forme de travail de l’ensemble de la loge qui confond vitesse et précipitation. Quoi qu’il en soit, le torero asturiano passa « compagnon franc-maçon » le 20 juillet 1922, et fût élevé au degré de « maître franc-maçon » le 16 juin 1923.

Les membres de sa loge étaient au nombre de 56, il y rencontra le compositeur Eduardó Martinez Torner qui fût initié dans la même loge l’année après Casielles Puerta, mais aussi Pedro Rico Lopez maire de Madrid. Le nom de Bernardo Casielles Puerta apparaît encore sur le tableau de loge entre 1926 et 1930, mais en 1931 il est mentionné au sein de la loge « Hispanoamerica n°2 », qui comptait 18 membres et était alors présidée par le socialiste Daniel Anguiano.

Quitte à déplaire aux contempteurs de la tauromachie, les toreros n’étaient pas tous attachés aux régimes dictatoriaux comme une certaine catégorie s’efforce de le faire croire. Pour preuve, Casielles Puerta assumait son engagement maçonnique malgré le contexte politique d’alors, ainsi que ses idéaux politiques. C’est pourquoi l’on retrouve son nom parmi la liste des militants historiques de la gauche républicaine espagnole, notamment dans le groupe « I.R. Gijón » de la province « Asturias ».
Le journaliste Jacques Durand rapporte dans un article, que notre matador asturiano était aussi membre de la « brigade des toreros », dont une grande partie des cadres étaient de hommes des arènes. Cette brigade mixte de l’armée républicaine, fût formée à Murcia en 1937 et combattit sur plusieurs fronts.
Blessé sur celui de Guadarrama, Bernardo Casielles Puerta obtint le grade de capitaine. Après la défaite des républicains, comme bon nombre de ses compatriotes, il s’exila, et pour lui il semblerait que ce fût à Caracas. En 1944 en Espagne, le « Tribunal de Represión de la Masoneria y el Comunismo » le condamne à 12 ans et 1 jour de prison.

Tout en s’adonnant aux activités d’homme d’affaire et industriel, ce torero asturiano s’occupa de l’exploitation agricole de son épouse mexicaine. Après avoir sollicité un droit au retour, le torero franc-maçon Bernardo Casielles Puerta meurt à Colmenar Viejo dans la province Madrid le 9 mai 1983, il est enterré à Oviedo.


Voir aussi :
http://asturmason.blogspot.com/2007/06/un-torero-mason-y-asturiano.html

vendredi 24 avril 2009

Culte taurin et Dieu franc-maçon de l'Antiquité




Nombreux furent les cultes antiques, et tout aussi nombreux ceux qui célébraient le sacrifice d’animaux. Ceux qui nous intéressent plus particulièrement sur ces colonnes, sont ceux liés au sacrifice du taureau, et plus précisément ceux possédants un lien symbolique ou rituélique avec la tauromachie et les philosophies des sociétés initiatiques qui ont perduré jusqu’à nos jours.

Dans les sociétés initiatiques justement, l’on trouve souvent l’oralité comme moyen de transmission des secrets. Ces secrets qui ne le sont pas pour le simple plaisir de cacher quelque chose, mais le sont afin de ne pas divulguer au premier venu des savoirs qui risqueraient alors de perdre la profondeur de leurs sens. L’actualité nous le démontre tous les jours. Il est donné une information, et sans même prendre le temps d’en vérifier la véracité, voilà que tout un chacun s’en empare, lui donne une importance suivant sa propre sensibilité, et ainsi la transforme, la déforme, puis la retransmet suivant son idéologie sans tenir compte du contexte dans lequel cette information a été donnée. Ce comportement étant partie intégrante du génome humain, c’est donc tout naturellement que nos aïeux soucieux de garder la force originelle de quelques Savoirs, de la Connaissance, ont mis en place des codifications afin de transmettre leurs « secrets ».

Parmi les mythes fondateurs de la tauromachie, l’on trouve un certain nombre de cultes antiques, et dont un qui est connu du plus grand nombre d’aficionados. Celui de Mithra était dans la tradition du secret, réservé à des initiés, et considéré en tauromachie comme la source de l’art de Cuchares, intéressant en premier lieu l’aficionado a los toros attiré par les rites et les symboles.

Provenant semble-t-il d’Asie, mais arrivé en Europe via l’Iran actuel avec les pirates siliciens, le culte de Mithra s’est imposé comme culte à mystères, quelques 100 ans après le début de l’ère chrétienne. A la différence des cultes dont les animaux sont sacrifiés par l’homme, le taureau du mithriacisme est sacrifié par le démiurge. Animal symbolisant la nature dans tous ses aspects indomptables, le bovidé peut donc être seulement maîtrisée par un Dieu, lui-même pouvant aussi être interprété comme la métaphore d’Individus à la pensée élevée. Le culte de Mithra est donc célébré par des initiés.
Les membres de cette religion, se réunissaient dans des mithrea, édifices souterrains donnant des caves obscures, symbolisant ainsi la grotte dans laquelle Mithra a vu le corbeau envoyé par le Soleil et lui annonçant le sacrifice qu’il devait réaliser. Les initiés au mithriacisme passaient des ténèbres à la Lumière, tout comme le font symboliquement les membres de divers courants philosophiques. Ce sont ces révélations initiatiques qui ont valu au culte de Mithra, la qualification de « franc-maçonnerie de l’Antiquité »* qui lui fût attribuée par des historiens.

A observer l’iconographie de ce culte, puisqu’il n’existe par de livre sacré le concernant, l’on aperçoit notamment le chien, qui se trouve être aussi dans certains rites de perfectionnements de la franc-maçonnerie. Ne lit-on pas, entre autre, que Joaben aperçut le chien d’un inconnu qui se dirigeait vers la caverne en bord de mer, et ce chien n’est-il pas représenté au degré d’Elu ? Mais l’on peut aussi constater que les présences de la lampe, de la source et du chien, donnent le sens d’une construction mythique de ce mouvement philosophique. La source, que l’on retrouve car Mithra vit le jour auprès d’une source sacrée.
L’on perçoit aussi la Lune et le Soleil dans ce culte, symbolisés dans les arènes par les parties soleil et ombre du ruedo. Astres que l’on retrouve en position d’éclairage d’une loge de francs-maçons. Mais le plus flagrant dans cette représentation, est la présence de Cautès et de Cautopatès. Tous deux placés autour de Mithra, ils ne sont pas sans faire songer aux protagonistes qui entourent le président d’une loge de francs-maçons, à savoir l’orateur et le secrétaire. Placés sous le soleil et la lune, ces différents acteurs des rites mithriacistes et maçonniques, possèdent dans leurs fonctions des similitudes allégoriques.
Symbolisant le jour naissant, Cautès éclaire par sa torche levée, comme l’orateur d’une loge éclaire les travaux du groupe de par sa connaissance du règlement et des Constitutions. A l’opposée, Cautopatès tenant sa torche baissée, laisse entrevoir l’obscurité des ténèbres, comme le secrétaire d’une loge va noter les actes de la réunion et ainsi permettre aux différents moments importants de l’assemblée, de ne pas sombrer dans les ténèbres de la mémoire collective.
Non seulement Cautès et Cautopatès peuvent être symboliquement associés comme il vient de l’être fait, mais peuvent aussi l’être en tauromachie. Les assesseurs de la présidence d’une corrida, sont les garants, en théorie, d’un équilibre parfait lorsque est donnée la décision de l’attribution des trophées. Afin que le juste ressorte du jugement technique, il faut que les divers protagonistes soient capables de faire valoir des aspects positifs comme négatifs dans leurs jugements. La torche baissée et celle levée représentent le négatif et le positif, tout ce dont l’homme doit être à même de présenter lorsqu’il veut émettre un avis, une sentence.


Le culte de Mithra, acte symbolique fondateur de la tauromachie, offre divers degrés d’initiation, aux nombres de 7 exactement qui paraissent correspondre aux sept planètes de l’astronomie alors en vigueur à l’époque. D’après les spécialistes, la majorité des membres possédèrent jusqu’au 4ème degré, quelques uns arrivèrent aux degrés supérieurs. Il est intéressant de noter que la franc-maçonnerie est aussi composée de degrés initiaux (les 3 premiers qui sont apprenti, compagnon et maître), et se voit aussi développée des degrés dits « supérieurs » ou de « perfectionnements ». Ces derniers n’étant pas obligatoires dans le cheminement maçonnique, bon nombres de francs-maçons ne voulant pas y accéder, considérants que les principes même du mouvement sont dans les seuls trois premiers degrés.
De Mithra, la tauromachie n’a pas héritée de 7 degrés, mais de 4, qui sont les deux stades du novillero puis celui de matador de toros. Le 4ème degré de la Connaissance d’un matador, se positionne à l’issue de sa carrière dans les arènes. De par son parcours, il est le seul à pouvoir analyser au plus profond ses succès comme ses échecs, il porte un regard sur le monde taurin que seul un homme qui l’a entièrement parcouru peut s’en imprégner.

Mais aussi de Mithra, la tauromachie a hérité de l’aspect initiatique. Le matador ou bien l’aficionado, practico ou non, est toujours initié. Même si il découvre l’art taurin par lui-même, ce n’est que sous la protection et l’accompagnement d’un autre qu’il parviendra à accéder aux mystères taurins. Protection requise pour ne pas sombrer dans les méandres des marchands du temple tauromachique. Accompagnement, afin de mieux appréhender les différents degrés qui amènent au savoir taurin.

L’on peut encore retenir l’aspect rituélique du culte de Mithra. Tout d’abord l’on constate que les femmes en étaient exclues, comme elles l’ont trop longtemps été de quelques mouvements initiatiques et de la tauromachie. Par contre, Mithra comme la corrida, n’interdisent pas aux enfants d’accéder à leurs rites. Concernant la tauromachie, le fait de l’absence de rituels autour de la mort qu’a maintenant adopté notre société, l’acte taurin semble être le dernier rite encore en vigueur qui permette de confronter les enfants aux réalités de la vie, comme pouvait remplir ce rôle les veillées mortuaires d’alors.

Pour conclure, provisoirement, il semblerait d’après certaines sources que le mithriacisme n’est pas eu pour vocation de créer le monde car il lui était antérieur, mais que son objectif était de le conserver en répandant le sang du taureau, créateur de fertilité éternelle et de la force vitale. Les véritables mouvements initiatiques n’ont pas pour objectif de créer le monde, mais de le comprendre afin qu’il puisse y être proposé des améliorations. La tauromachie ne créée pas le monde non plus, elle en est le reflet, car en quelques minutes de combat entre l’homme et le taureau, se déroule sous nos yeux tout ce que représente la vie de la naissance à la mort, avec ses joies et ses peines.




* Revue « Allez Savoir », numéro 20 du mois de juin 2001, article « Sacrifié par Mithra, le dieu franc-maçon de l’Antiquité ».

jeudi 16 avril 2009

"Histoire du flamenco, éloge de l'éclair"


Comment faire, lorsque l’on veut aborder un livre que l’on a apprécié, mais dont on sait que d’autres en ont très bien parlé ?
C’est alors que l’on pense à renvoyer vers le lien du blog de Ludo, et à inviter le lecteur assidu ou ponctuel des « Deux Arts » à rendre visite à « Los Pinchos del Ciego », à moins qu’il ne le fasse déjà, à la page http://pinchosdelciego.blogspot.com/2009_03_01_archive.html et de dérouler jusqu’au texte concernant le livre « Histoire du flamenco, éloge de l’éclair ».

Comment aborder un livre dont le sujet vous intéresse grandement, mais que la méconnaissance flamenca ne vous permet pas d’exprimer votre ressenti avec l’afición des amateurs de cet art ?
Il y a alors la possibilité de narrer la rencontre avec l’auteur, qui dura presque deux heures. Mais non, trop personnelle cette rencontre avec un homme qui est un véritable Artiste. Pas de ceux que l’on nous vend avant même de les avoir vu ou entendu exprimer leur « art », comme l’on en trouve dans le monde des taureaux ou autres académies pour pseudos stars. Non, l’auteur de ce livre, Guy Bretéché, est un Artiste dans le sens qu’il aime un art, qu'il possède le goût du beau, qu’il le pratique musicalement mais aussi humainement. Pas de ceux qui ne sont flamenco qu’en apparences, mais de ceux qui sont flamenco au plus profond d'eux-mêmes comme d’autres peuvent être toreros.

Ce livre « Histoire du flamenco, éloge de l’éclair », est avant tout l’histoire d’un art mais aussi une histoire d’amour entre un ligérien et un art ibérique. Natif et vivant en Loire-Atlantique, l’auteur est sociétaire de la Peña flamenca « Pepe de la Isla », dont il a reçu la guitare d’or. A travers la lecture de ce livre, il s’agit bien de l’histoire de la passion d’un homme pour un art, car au delà de l’histoire méconnue du flamenco, l’on ressent en filigrane, toute la fibre qui anime Guy Brétéché dans sa perception du flamenco.

Des deux siècles qui précédèrent l’ère chrétienne où les Romains s’implantèrent sur les plaines du Guadalquivir, jusqu’au XXè siècle qui se termine par le portrait de Antonio Ruiz Soler « Antonio » décédé en 1996, l’auteur nous raconte une Espagne flamenca qui ferait enrager les anti-flamenquistes. N’hésitant pas à pointer les dérives que d’aucuns ont souhaité au nom de la modernité et du progrès, Guy Bretéché en souligne les évolutions et fait ressortir toutes les richesses du flamenco.

L’aficionado a los toros, ne pourra s’empêcher de mettre en concordance le flamenco raconté dans ce livre et sa passion pour la tauromachie. Voyant dans José Tajada Martin « Pepe Marchena », l’image de ces toreros dont les carrières se sont construites, ou se construisent encore de nos jours (je pense à un autre José, actuel celui-là, même si je dois avoir moins d’amis) au point de devenir des mythes infondés. Mais aussi l’aficionado a los toros partagera avec l’aficionado de flamenco, les dénonciations des surenchères promotionnelles, jusqu’à la définition que nous fait l’auteur du mot « aficionado ». Mais encore, l’aficionado trouvera avec le portrait de Paco de Lucena, un reflet du grand « Joselito ».

Ce livre permet à l’aficionado a los toros, de s’ouvrir vers un monde qu’il ne soupçonnait peut-être pas, qui va bien au delà du « flamenco » que l’on croise dans les diverses soirées animées autour de quelques bodegas et autres cercles taurins. Il permet aussi au néophyte, de percevoir ce qu’est le flamenco, à savoir tout à fait autre chose que les musiques hispanisantes formatées. Mais l’aficionado de flamenco, trouvera aussi son bonheur dans ces pages.

L’auteur débute son « Histoire du flamenco, éloge de l’éclair », en exprimant son amour pour ce chant, expression authentique d’un peuple fier, racine d’une culture foisonnante, messager d’une plainte ancestrale. En refermant l’ouvrage, l’on peut dire au peuple andalou, qu’il a trouvé un autre et grand messager de l’expression authentique de sa plainte ancestrale, en la personne de Guy Bretéché.

« Hisotire du flamenco, éloge de l’éclair », de Guy Brétéché, éditions Atlantica, 2008. ISBN :978-2-7588-0124-5. Prix 22 euros.

mardi 14 avril 2009

800 ans nous séparent


Le combat du taureau a toujours existé dans les terres méridionales, la course camarguaise ainsi que la course landaise sont la pour en témoigner. La corrida espagnole, rapidement implantée dans le sud du pays, fît tout de même quelques tentatives d’incursions au septentrion mais ces dernières ne prirent pas. Les plus connues de ces « corridas nordistes » furent celles de Paris et de la rue Pergolèse, mais aussi Vichy dont la dernière fût célébrée le 15 août 1991 avec des novillos de Tardieu pour Domingo Valderrama, Frédéric Léal et Ignacio García. Plus au nord il y eut Le Havre en 1868, puis Roubaix, plus à l’ouest quelques tentatives à Nantes en 1869, 1887, 1906 et 1936. Floirac dans la périphérie de Bordeaux offrait des corridas il n’y pas encore si longtemps, les plus septentrionales étant aujourd’hui les arènes de La Brède, toujours en Gironde.

D’aucuns diront que les peuples du nord étant plus civilisés, il est donc normal que les corridas ne firent pas recettes en ces terres. D’autres au contraire, trouverons des explications plus intelligentes dans les raisons qui ont vu les corridas ne s’implanter qu’au sud du pays. Quoi qu’il en soit, il semble intéressant de noter que le midi de la France, a toujours eu un esprit à part. Ce n’est pas que le méridional soit meilleur ou pire que ses concitoyens hexagonaux, mais il semblerait qu’il est toujours eu un attrait pour des choses sortant de l’ordinaire, les choses extra ordinaires.

Au XIIè siècle, pendant que les juifs étaient boutés hors de certaines régions françaises, les Capitouls toulousains avaient des personnalités de cette religion parmi leurs proches conseillers. Même si l’on retrouve des traces cathares dans la Sarthe et en Champagne, c’est sur les bords de la Méditerranée que cette religion s’implanta fortement. Lorsque les premières loges maçonniques arrivèrent en France, des villes portuaires comme Nantes ou bien Le Croisic en accueillirent, mais les villes du bassin languedocien comme Béziers ne furent pas les dernières non plus à en voir s’installer. Les exemples qui abondent en ce sens sont multiples, mais étant donné les centres d’intérêts de ce blog, nous n’irons pas plus loin.

Les cathares justement, qualifiés d’hérétiques par l’église catholique romaine, alors qu’ils étaient aussi des chrétiens. Une église catholique qui a organisé une croisade contre ses frères, et afin d’avoir l’appui de forces armées conséquentes, permis aux barons du nord d’annexer l’Occitanie au royaume de France.
C’était en 1209, le 12 juillet exactement, que le célèbre « Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! » était prononcé. Cette phrase que l’histoire a attribué à un religieux présent lors du massacre de la population de Béziers, et qui aurait ainsi répondu de la sorte à la question qui lui était posée, à savoir, qu’elle était la façon de reconnaître les hérétiques des véritables chrétiens. Parce qu’il ne voulurent pas livrer aux soldats les cathares qui figuraient parmi la population (10% d’après les dernières recherches d’historiens), les biterrois d’alors furent massacrés. Hommes, femmes, enfants et vieillards notamment, brûlés vifs dans des églises, plusieurs milliers de personnes exterminées. Il y eut ensuite la tentative infructueuse de la prise de Carcassonne, puis vint le tour de Toulouse, où fût tué Simon de Montfort à qui l’on attribue le commandement des troupes croisées. Le point ultime fût le bûcher de Montségur, où périrent la quasi totalité des derniers parfaits cathares.

Sans prétendre vouloir entrer dans une étude sociologique, laissons cela aux spécialistes, il est tout de même curieux de constater que la religion cathare et la tauromachie (espagnole, landaise, camarguaise), fortement implantées dans le sud du pays, possèdent un point commun. Toutes deux, à leurs époques respectives, participent au décloisonnement la société.

Alors que le Moyen-Âge cantonne la femme à un rôle de soumission, et malheureusement cela perdure encore parfois de nos jours, le catharisme permet à ces mêmes femmes de vivrent une vie quelque peu différente. Elles peuvent avoir mis au monde des enfants, travaillé, être de toutes conditions sociales, et épouser cette religion. Contrairement aux religieuses cloîtrées dans les monastères, les parfaites cathares accédèrent à un pouvoir sacerdotal, et menèrent une vie apostolique tout en étant ouvertes vers l’extérieur, avec non seulement le prosélytisme qui leur était permis, mais aussi les soins à apporter aux malades.
La tauromachie, même si elle fût longtemps machiste, s’ouvre de plus en plus aux femmes, et l’on voit avec plaisir (du moins me concernant) ces dames être connues et reconnues dans le mundillo. Non seulement des toreras ou rejoneadoras, mais aussi accéder à la présidence de clubs taurins, à la direction d’école de tauromachie, des rôles dans des commissions taurines et aux palcos, et ce qui n’est pas rien, être des références par divers ouvrages publiées. Je pense notamment à Sandra Alvarez, Marie-Claire Bonnaure, Araceli Guillaume-Alonso, Annie Maïllis, sans oublier Catherine Le Guellaut et Nadège Vidal.

Toujours d’après les historiens et archéologues spécialisés, tout en prenant les précautions d’usages car le développement géographique du catharisme ne suit pas toujours cette logique, les chroniques inquisitoriales laissent à penser qu’il est un lieu de vie privilégié pour cette religion, à savoir le castrum. Ce système d’habitat propre aux régions méridionales et au nord de l’Italie, regroupe autour du donjon ou de l’église, toutes les habitations du village. Faisant ainsi coexister les coseigneurs, chevaliers, paysans et artisans, ce qui facilitait les échanges entre tous les protagonistes de la société.
Des lieus privilégiés d’échanges, la tauromachie en connaît aussi. Les tendidos mais aussi les cercles taurins, permettent aux personnes de toutes professions et de toutes couches sociales de partager l’instant et l’espace tauromachique. La communion autour du taureau par des hommes et des femmes qui s’intéressent à l’art de Cuchares, mais aussi dans une vision plus large aux courses landaises et camarguaises, sans omettre les amateurs de recortadores et d’encierros, permet une cohésion pendant un temps défini par l’acte taurin. Mais cette cohésion ne reste pas lettre morte la course terminée, car les amateurs sont appelés à se croiser dans d’autres circonstances, et ils n’oublient pas lorsqu’ils se voient ailleurs, qu’ils partagent une même passion, une fraternité taurine permettant ainsi les échanges.

Affirmer que cet esprit de décloisonnement sociétal a engendré l’intérêt des peuples méridionaux pour le catharisme et la tauromachie, serait un raccourcis trop facile à emprunter. L’on rencontre sous toutes les latitudes des personnes ouvertes et respectueuses des autres, comme l’on croise parfois dans le monde taurin, des gens soucieux de garder une certaine distance vis à vis des autres. Le monde n’est pas parfait d’un côté et imparfait de l’autre.
Il paraît toutefois curieux que ce soient les terres méridionales qui ont vu plusieurs « hérésies » développer leurs idées jusqu’à ce que connue le catharisme, mais aussi des mouvements philosophiques controversés comme la franc-maçonnerie qui sont fortement implantés, ou encore la tauromachie qui a prospéré tout en ne laissant pas insensible. Il est tout aussi étonnant de constater que ces courants de pensées et la tauromachie, par leurs actes, décloisonnent la société de par leurs fonctionnements ainsi que les valeurs qu’ils véhiculent. Peut être est-ce là matière à réflexion ?

Il y a tout juste 800 ans, dans le midi de la France, une religion fût exterminée sur ordre de personnalités religieuses extérieures, n’acceptant pas la contradiction sur le sens de la vie et donc de la mort. Huit siècles plus tard, sur les mêmes terres, des activités taurines sont décriées par des individus souvent de cultures différentes, et n’acceptant pas que d’autres voient la vie et la mort différemment d’eux.

samedi 11 avril 2009


Au mois de juillet 2008, les éditions « l’Harmattan » ont publié un ouvrage intitulé « Tauromachie et flamenco : polémiques et clichés (Espagne, fin XIXè – début Xxè s) ». Dans ce livre, Sandra Alvarez, agrégée d’espagnol, docteur de l’Université Paris III - Sorbonne Nouvelle et professeur de langue et littérature au Lycée Français de Madrid, invite le lecteur à approfondir ou découvrir, c’est selon, l’anti-flamenquisme.

Pour les adversaires des corridas et du flamenco qu’étaient les anti-flamenquistes, les arènes et les cafés cantantes, furent des lieus considérés comme la mise en exergue du triptyque « alcool, rixe et barbarie ». Pour les abolitionnistes, le cante flamenco et de la tauromachie étaient les principales sources de tous les maux de l’Espagne de l’époque (fin de l’empire espagnol, problèmes sociaux) et notamment de la non modernisation de cette dernière, l’auteur met à jour tout l’esprit qui animait les anti-flamenquistes, leurs contradictions, leurs propos qui n’étaient pas tous des plus tolérants.

Tel Eugenio Noël, taurophobe notoire et adversaire du flamenco tout en étant admiratif des danses flamencas, et dont les aficionados peuvent se demander à la lecture de certains de ses écrits, si il n’aurait pas secrètement rêvé d’être torero. Mais aussi Miguel de Unamuno, que l’on admire pour son discours courageux et héroïque de Salamanca en 1936 devant le général Millan-Astray, et qui d’un autre côté, demandait à ce que les amateurs de corridas qui se rendent aux arènes soient condamnés à des amendes et jeter en prison en cas de récidive. Ou encore cet extrait de texte qui émane d’écrits de la presse catalane de l’époque, je me déclare taurophobe , messieurs, je demande l’abolition et l’extermination de tous les espagnols qui portent une tresse… (la tresse désignée « la coleta », est le signe de reconnaissance des toreros).
L’on constate que rien n’a changé depuis un siècle dans les propos proférés à l’encontre des aficionados a los toros, notamment à la lecture du texte de présentation d’un livre anti-taurin publié en 2009, et dont l’auteur sur son propre site (1), nous livre des phrases comme Défenestrons le Sud de la mort et dézinguons la corrida ! Ouvrons le feu, vidons nos kalachnikovs, nos flingues planqués dans nos greniers sur la racaille confessée qui se rend aux arènes ! Un « écrivain » pour qui le sud, c’est notamment, Lance Armstrong accélérant dans la montée du Pla d’Adet. A chacun ses références après les soupçons à l'encontre de ce cycliste…

« Tauromachie et flamenco » est un ouvrage qui aborde une approche économique, politique et sociétale de la période espagnole qui s’étend de 1850 au début des années 1900. Même si l’on peut être tenté de ranger les anti-flamenquistes parmi les mouvements politiques qui se targuaient d’être progressistes, avec notamment les socialistes et les anarchistes démontrant sur ce sujet une attitude mensongère et ultra conservatrice animée par un véritable esprit de croisade, l’auteur montre que des personnalités conservatrices étaient aussi opposées au flamenco et aux corridas. Pour Sandra Alvarez, de ce travail résulte qu’il est plus compliqué de classer les anti-flamenquistes dans un camp idéologique bien précis, et qu’il s’agit plus d’un clivage de classe servant à critiquer le gouvernement en place quel qu’il soit.

Dans cet ouvrage très documenté, l’auteur nous livre une analyse passionnante sur non seulement les propos, mais aussi les comportements et les idéaux sous-jacents de l’anti-flamenquisme. Jamais accusatrice, soucieuse de donner une analyse distante de tout parti pris, l’auteur démontre que derrière le rejet des gouvernements au travers de la corrida et du flamenco, pointe aussi un anti-andalousisme primaire. L’hispanité est représentée aux yeux des autres pays, par la corrida et le flamenco, symboles de l’Andalousie. Ce qui fait bondir les espagnols des autres régions, et que l’on retrouve dans les pensées du philosophe natif du Pays Basque, Miguel de Unamuno.

Les anti-flamenquistes n’ont seulement pas réussi à faire abolir la corrida et interdire le flamenco comme ils en rêvaient, mais de surcroît, ils permirent de faire parler encore plus de ces deux arts au travers de multiples écrits. Partagée entre la volonté de modernisation et ses traditions, l’Espagne se déchirait sous l’influence d’intellectuels qui n’hésitaient pas à discourir avec un langage fanatisé.

Un livre passionnant qui ne laissera pas indifférent l’aficionado a los toros, lui permettant aussi de constater que les discours des adversaires de la corrida n’ont guère évolué depuis plus d’un un siècle.


Tauromachie et flamenco : polémiques et clichés (Espagne, fin XIXè – début XXè s.), de Sandra Alvarez, prologue de Serge Salaün. Editions L’Harmattan (2008), collection « Recherches et documents ». Prix 23 euros. ISBN : 978-2-296-04046-5


(1) http://www.christianlaborde.com/

jeudi 9 avril 2009

El toro mason (1)


Le 1er septembre 2007, le site internet « Opinion y Toros » publiait dans un tribune, un article intitulé « El toro mason : indulto en San Clemente » (1), écrit par Joaquín Albaicín, écrivain et aficionado a los toros. A l’origine de l’article, un festival à San Clemente ou toréait entre autre Julio Aparicio. L’auteur, qui ce jour là fût subjugué par le toreo de Aparicio, posa la question du comportement de l’animal. La réponse fût non des moins surprenante et inattendue.

¿Qué cómo fue el toro? Pues Laborioso no fue un toro trabajador, salvo si entendemos trabajo en el sentido masónico de la palabra. Laborioso fue más bien eso, un toro masón, un toro apto para servir a un trabajo de alta orfebrería espiritual.

Il semblerait que pour l’auteur, le mot travail possède un double sens. A savoir celui communément employé, et un autre qui serait donc le « sens maçonnique ». Pourtant, le travail est défini comme une activité de l’homme appliquée à la production, à la création, à l’entretien de quelque chose. Mais aussi, la définition philosophique qui est donnée à ce mot, est une activité de transformation de la relation, propre aux hommes, qui les met en relation et qui est productrice de valeurs. L’on trouve aussi la définition suivante, que le travail est une action progressive, continue, produite par un élément, un phénomène naturel : ensemble des phénomènes qui se produisent dans une substance et en change la nature, la forme ; modification qui en résulte, et en espagnol, l’emploi de ce mot est sensiblement identique. Même si le travail a été attribué à des fonctions particulières demandées à des animaux, ce n’est que sous la pression de l’homme pour une ou des actions bien précises, mais jamais de la propre volonté de l’animal. Lorsque des animaux nous semblent travailler à, par exemple, confectionner des réserves de nourritures, ce n’est que par nécessité de subsistance et non pas une activité de création comme peut le faire l’être humain. L’homme créé de par son travail, pour se nourrir grâce à une rétribution suite à son labeur, mais aussi il travaille pour améliorer son quotidien (habitat), sa connaissance intellectuelle (culture).

Je me suis toujours interrogé sur la signification du « sens maçonnique » que l’on peut attribuer à des mots ou expressions. Cela m’a toujours un peu surpris d’entendre ou de lire des personnes, se retrancher derrière un « sens maçonnique » ou bien encore derrière le « maconniquement parlant » comme entendu dernièrement à l’écoute d’une émission sur France-culture, tout cela en lieu et place du sens étymologique. Donner un « sens maçonnique » sonne à mes oreilles comme si la franc-maçonnerie possédait sa propre langue. Il est vrai qu’elle a utilisé un alphabet tombé en désuétude depuis fort longtemps, et que certaines de ses expressions sont maintenant passées dans le langage courant. Mais pas plus.
Attribuer un « sens maçonnique », me fait songer à ces individus qui vivent dans la crainte du jugement de l’autre, des autres, et qui éprouvent le besoin de donner une justification précise sur leur façon de penser et d’acter leur quotidien par soucis d’acceptation de la part des autres justement. Ce retrancher derrière le « sens maçonnique », peut donner l’impression d’offrir une dimension différente au mot employé, dimension se voulant plus forte. En ce cas précis, cela insinue que le mot travail possède une signification plus importante par un emploi à connotation maçonnique.

Il semblerait donc que Julio Aparicio n’est pas rencontré de jour-là un adversaire travailleur. Mais un taureau doit-il être travailleur, ne doit-il pas être avant tout un combattant ? Sachant, si l’on veut continuer dans l’emploi d’un « sens maçonnique », que le terme de combattant aurait aussi très pu être utilisé. Car les francs-maçons et francs-maçonnes (commed'autres) se battent, combattent, contre l’intolérance et pour faire avancer des idées de progrès social et humain. Le taureau aussi se bat, combat l’homme venant le défier.

Il semble intéressant de s’interroger aussi sur la signification de un toro mason, et le sens que cette expression peut représenter pour nous, aficionados et intéressés par le symbolisme. Partant du fait que l’anti-spécisme n’est pas de mise dans les réflexions des sujets abordés sur ces colonnes, puisque si des espèces existent, c’est que dans l’ordre des choses mises en place dans la Nature, les différentes espèces possèdent chacune un rôle et se doivent d’exister en tant que tel, comment un taureau pourrait-il être franc-maçon ?

L’auteur souligne que le taureau est franc-maçon car par son attitude dans le ruedo, il ne semble pas opportun ici de parler de combat, a offert un « travail de haute orfèvrerie spirituelle ». L’on peut recevoir cette expression comme une métaphore, pour souligner l’action de l’animal qui a permis au torero de briller, et dans le sens du texte lui trouver de hautes valeurs. Prenant un peu de recul vis à vis du « sens maçonnique », il semble que l’interprétation des rôles ait été inversée, comme si l’on voulait donner une importance à la prestation du taureau, alors que ce dernier ne semble pas avoir réellement combattu mais plutôt collaboré. La question se pose de savoir si c’est le taureau qui est paru franc-maçon, ou bien le torero dans sa prestation.

Attribuer une telle valeur au taureau, fausse le ressenti dans une corrida, c’est bien trop souvent il est recherché le taureau qui collabore et non pas celui qui combat, et qui par sa collaboration, permet au torero de triompher. Mais quel sens a le triomphe du torero, si face à lui, se trouve un collaborateur et non un combattant ? La valeur n'en est que faible, puisque le taureau ne fût pas un réel adversaire.
L’on en vient alors à inverser les rôles et canons tauromachiques, et malheureusement à oublier que le taureau permet à l’homme de réaliser son toreo car c’est à ce dernier de travailler le bovidé. C’est le matador qui travaille la pierre brute qu’est le taureau à sa sortie du toril, pour le polir tout au long de la lidia et s’efforcer dans tirer le meilleur sur l’ensemble du combat. Si l’un des deux principaux protagonistes d’une corrida doit être qualifié de travailleur, c’est bien l’homme. Le taureau possède son importance car il est le matériau qu’il faut travailler, qui, par son comportement, est aussi difficile à maîtriser que la matière. La pierre ne réagit pas toujours aux attentes du tailleur, l’argile présente des réactions inattendues jusqu’au moment de la cuisson, le bois se modifie même une fois le meuble construit, le fer vit sous les mains du forgeron mais aussi sous la taille exercée par la machine outils. Il en est de même pour le taureau, ce dernier modifie son comportement tout au long de la lidia, et c’est à l’homme de trouver la solution pour en tirer le meilleur. Les outils du torero pour polir le comportement du taureau, son les trastos ainsi que la connaissance de la lidia.

La base, l’esprit de la tauromachie, ce n’est pas d’avoir un taureau qui collabore et qui permette au torero de briller. La tauromachie, c’est le matador qui doit exceller par son seul mérite d’avoir réussi à réduire les aspérités de son adversaire qu’est le taureau. C’est en ce sens que l’on pourrait éventuellement aborder un « sens maçonnique », à savoir non pas un toro mason, mais « un matador mason ».

(1) http://www.opinionytoros.com/tribuna.php?Id=286

mardi 7 avril 2009

Les Deux Arts


L’art, exprimé par des artistes auréolés de succès ou par des plus humbles, représente une aptitude, une habileté à faire ou créer quelque chose, grâce à la stricte observation de moyens, de procédés et de règles. L’art est aussi l’expression totalement désintéressée et idéale du beau. Ce beau qui est perceptible dans les lettres, la peinture, la sculpture, la musique ou la tauromachie, est souvent classé en art mineur ou art majeur.
L’homme a toujours eu et aura toujours ce besoin de cataloguer, d’où la nécessité de définir ainsi deux catégories d’arts. Pourtant, l’art, les arts, qu’ils soient d’expressions physiques ou intellectuelles, sont tous importants, tous majeurs. Car ce qui est beau ne connaît pas de minorité ou de majorité, il est le beau à la fois dans sa simplicité et dans sa grandeur, qu’il soit exprimé par un illustre ou par un inconnu.
C’est ainsi que toutes les formes d’arts ont de l’importance, et notamment un art qui n’est pas considéré comme tel au premier abord, mais dont pourtant la pratique dans toute sa dimension originelle est artistique. Un art pratiqué quotidiennement par tout un chacun avec plus ou moins de succès, et ce depuis que l’être humain s’est aperçu de la dotation de ses facultés intellectuelles. Un art qui n’est autre que celui de la pensée, et que quelques uns connaissent sous le terme de « art royal ».

Ce vocable est souvent associé à la franc-maçonnerie, car l’art royal est devenu synonyme de ce mouvement philosophique au XVIIIè siècle, période où paraissent les Constitutions d’Anderson, et qui sont les bases fondatrices de la franc-maçonnerie moderne. L’on sait que cette expression fait référence à l’art de bâtir des maçons opératifs, dont est issue la franc-maçonnerie dite spéculative, car ayant délaissée la partie manuelle au moment de l’intégration d’une certaine bourgeoisie dans les loges anglaises.
Mais à la lecture d’ouvrages, l’on s’aperçoit que l’art royal n’est pas qu’une qualification du courant philosophique maçonnique. Malgré les diverses traductions et donc les divergences d’interprétations sur la signification de l’art royal, l’on retrouve quelques auteurs pour qui une partie de ses origines se situe parmi les constructeurs du temple de Salomon. Ceci du fait de l’intérêt porté par les Rois pour l’ensemble des constructeurs qui étaient à leurs services, en faisant ainsi un art de bâtir destiné aux têtes couronnées.
D’autres personnes attirées par l’occultisme, voient en l’art royal, une distinction entre l’art sacré de l’Antiquité qui est en lien avec l’alchimie et la chimie, et l’art sacerdotal. Ce dernier faisant référence aux grands mystères, qui sont symboliquement destinés à amener l’Etre Humain, de son état de perfectibilité à celui de l’approche de l’identité suprême. L’art sacerdotal étant opposé à l’art royal, puisque ce dernier contient les petits mystères, qui dans le symbolisme existent par une opposition d’approche initiatique. L’art royal faisant ainsi référence à ce qui se rapporte aux diverses possibilités de l’Individu dans sa globalité, et permettant ainsi un accès à la perfectibilité de son état.

C’est donc la perception de l’art royal, centrée sur l’Individu dans sa globalité et donnant accès aux petits mystères, qui a donné l’idée de nommer ce blog « Les Deux Arts ». Car l’art royal ainsi défini, s’associe parfaitement à l’art de Cuchares, n’en déplaise aux détracteurs de la tauromachie mais aussi à ceux et celles peu enclins à aborder une certaine forme de pensée.

La tauromachie est au premier abord l’un de ces petits Mystères qu’un jour des matadors comme Pepe Hillo ou bien Francisco Montes « Paquiro », et d’autres ensuite comme José Gómez Ortega « Joselito », Juan Belmonte, ou encore Rafael Ortega, ont porté à un haut degré de perfectionnement. Mais ce qui amène la tauromachie à être partie intégrante de l’ensemble des petits Mystères qui font l’art royal, est que son histoire depuis ses origines, mais aussi et surtout sa finalité symbolique et rituélique, font que l’art de Cuchares appelle sa compréhension à une approche initiatique comme il en est de même de l’art royal.

Initiatique ! Le mot est lâché, et ce deux fois déjà depuis les premières lignes de ce texte. Voilà que quelques uns vont penser que je veuille associer coûte que coûte la tauromachie aux sociétés initiatiques, et principalement à l’une d’entre elle qu’est la franc-maçonnerie, source de fantasmes et de chasses aux sorcières régulièrement alimentée dans divers médias nationaux et locaux. Oui, les esprits réducteurs, adeptes des bas amalgames, vont aussitôt faire le rapprochement, puisque de plus, je suis l’auteur d’un ouvrage sur ces deux thèmes abordés conjointement. Pourtant parmi les sociétés initiatiques, l’on en trouve bien d’autres, des Rosicruciens aux Martinistes ou autres adeptes du bouddhisme actuellement très à la mode, car concernant cette dernière, pour qui veut persévérer dans cette religion doit accéder à l’initiation.
Même si cela doit déplaire, la tauromachie est initiatique. Initiatique veut dire qui relève de l’initiation, l’initiation signifiant une action de révéler ou de recevoir la connaissance d’une pratique, les premiers rudiments d’une discipline. Il est vrai que l’initiation étant souvent liée à une cérémonie particulière qui permet à l’individu d’accéder à un groupe d’appartenance, cérémonie ritualisée inaccessible aux profanes, ce qui fait dire au quidam plus enclin à critiquer qu’à chercher et comprendre, que l’aspect initiatique n’est que mascarade voire grand-guignolesque.

Il existe pourtant de multiples catégories de personnes qui accèdent de façon initiatique à la connaissance d’une pratique, et les aficionados a los toros sont de ceux-là. Oswald Wirth a écrit que l’initiable seul s’initie, ainsi le veut l’inéluctable loi de l’art royal. Pour l’aficionado a los toros, afin d’accéder à cette approche de la tauromachie éloignée des dogmes taurins et plus adjacente de ses aspirations, il ou elle doit être initiable.
Qu’il n’y ait pas de méprise, cela ne sous entend pas une quelconque position élitiste, de personne « élue », laissons cela aux sectes et autres mouvements spirituels où brille l’obscurantisme. Il s’agit simplement, d’une volonté personnelle de comprendre, de progresser sur un chemin librement emprunté.

Afin d’accéder à une certaine connaissance de la tauromachie, qui s’étend de la lidia aux différents arts taurins, il faut accepter d’acquérir une connaissance évolutive, suivie patiemment par divers degrés de découverte, ce qui en fait la Tauromachie. Bien entendu l’on peut accéder à une forme de connaissance taurine sans vouloir prétendre à s’y initier pleinement, et l’on accède alors à la corrida. Mais la corrida n’est pas la tauromachie, cette dernière étant complexe et multiple. Que l’on veuille ou non approfondir ses connaissances en matière taurine, et donc aimer la corrida ou aller plus loin et accéder à la tauromachie, du moment ou les uns comme les autres, ne tentent pas de dégoûter voire de jeter au pilori les avis différents et a fortiori les propos qui seront présentés sur ces colonnes, l’on doit considérer l’option choisie comme respectable et doit être respectée.

A partir de cette volonté d’aller plus loin, comprendre sa passion pour la tauromachie comme l’une des multiples composantes de son univers personnel, amène à approfondir sous divers aspects cette passion. A l’image de ces hommes et femmes qui ont réfléchi au sens de la Vie, ont désiré discerner le vrai du faux, le laid du beau, les petits et les grands mystères, sans avoir de connaissances particulières autres que leurs propres expériences, les écrits qui vont figurer sur ces colonnes, se doivent d’être lus et compris comme des réflexions personnelles permettant d’alimenter une démarche de réflexion vis à vis de la tauromachie avec comme credo l’esprit des mouvements philosophiques, initiatiques. Une démarche qui, puisqu’elle est ainsi livrée, se veut d’être partagée dans un soucis de respect des différences.

Un jour athée l’autre agnostique, désireux de comprendre, modeste chercheur mais véritablement passionné, c’est ainsi que j’aborde les petits mystères. Il est certain que rien ne nous interdit de penser, à moins d’être soumis à un courant sociétal adepte des rites négatifs et donc basés sur les interdits. Pourtant, dès que l’on essaye de travailler sa pierre pour comprendre le monde, les mondes, pour réfléchir en dehors des sentiers battus, loin des penseurs officiels, et pour peu que l’on ne soit pas un exégète en la matière, les foudres tombent parfois comme des sentences sans appels. Mais peu importe, car il est de mode de se voir interdire l’accès à la réflexion comme nous le démontre l’expérience quotidienne. Même sous couvert d’opposition à des idéaux, l’on voit toujours les mêmes exprimer une opposition. La preuve avec un baromètre infaillible que sont les émissions politique télévisées ou radiophoniques, qui invitent toujours les mêmes analystes, sociologues et autres professions aux terminaisons en logues.
D’autant plus que, pour qui souhaite aborder l’art de torear de manière atypique, sait par avance que plus ou moins rapidement, un jour ou l’autre cela lui sera reproché. Mais qu’à cela ne tienne, comme l’écrivit Chamfort, ne tenir dans la main de personne, être l’homme de son cœur, de ses principes, de ses sentiments, c’est ce que j’ai vu de plus rare. C’est ainsi que ce modeste blog « Les Deux Arts » entend vivre, avec ses colonnes ouvertes aux initiables comme aux initiés…