mardi 14 avril 2009

800 ans nous séparent


Le combat du taureau a toujours existé dans les terres méridionales, la course camarguaise ainsi que la course landaise sont la pour en témoigner. La corrida espagnole, rapidement implantée dans le sud du pays, fît tout de même quelques tentatives d’incursions au septentrion mais ces dernières ne prirent pas. Les plus connues de ces « corridas nordistes » furent celles de Paris et de la rue Pergolèse, mais aussi Vichy dont la dernière fût célébrée le 15 août 1991 avec des novillos de Tardieu pour Domingo Valderrama, Frédéric Léal et Ignacio García. Plus au nord il y eut Le Havre en 1868, puis Roubaix, plus à l’ouest quelques tentatives à Nantes en 1869, 1887, 1906 et 1936. Floirac dans la périphérie de Bordeaux offrait des corridas il n’y pas encore si longtemps, les plus septentrionales étant aujourd’hui les arènes de La Brède, toujours en Gironde.

D’aucuns diront que les peuples du nord étant plus civilisés, il est donc normal que les corridas ne firent pas recettes en ces terres. D’autres au contraire, trouverons des explications plus intelligentes dans les raisons qui ont vu les corridas ne s’implanter qu’au sud du pays. Quoi qu’il en soit, il semble intéressant de noter que le midi de la France, a toujours eu un esprit à part. Ce n’est pas que le méridional soit meilleur ou pire que ses concitoyens hexagonaux, mais il semblerait qu’il est toujours eu un attrait pour des choses sortant de l’ordinaire, les choses extra ordinaires.

Au XIIè siècle, pendant que les juifs étaient boutés hors de certaines régions françaises, les Capitouls toulousains avaient des personnalités de cette religion parmi leurs proches conseillers. Même si l’on retrouve des traces cathares dans la Sarthe et en Champagne, c’est sur les bords de la Méditerranée que cette religion s’implanta fortement. Lorsque les premières loges maçonniques arrivèrent en France, des villes portuaires comme Nantes ou bien Le Croisic en accueillirent, mais les villes du bassin languedocien comme Béziers ne furent pas les dernières non plus à en voir s’installer. Les exemples qui abondent en ce sens sont multiples, mais étant donné les centres d’intérêts de ce blog, nous n’irons pas plus loin.

Les cathares justement, qualifiés d’hérétiques par l’église catholique romaine, alors qu’ils étaient aussi des chrétiens. Une église catholique qui a organisé une croisade contre ses frères, et afin d’avoir l’appui de forces armées conséquentes, permis aux barons du nord d’annexer l’Occitanie au royaume de France.
C’était en 1209, le 12 juillet exactement, que le célèbre « Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! » était prononcé. Cette phrase que l’histoire a attribué à un religieux présent lors du massacre de la population de Béziers, et qui aurait ainsi répondu de la sorte à la question qui lui était posée, à savoir, qu’elle était la façon de reconnaître les hérétiques des véritables chrétiens. Parce qu’il ne voulurent pas livrer aux soldats les cathares qui figuraient parmi la population (10% d’après les dernières recherches d’historiens), les biterrois d’alors furent massacrés. Hommes, femmes, enfants et vieillards notamment, brûlés vifs dans des églises, plusieurs milliers de personnes exterminées. Il y eut ensuite la tentative infructueuse de la prise de Carcassonne, puis vint le tour de Toulouse, où fût tué Simon de Montfort à qui l’on attribue le commandement des troupes croisées. Le point ultime fût le bûcher de Montségur, où périrent la quasi totalité des derniers parfaits cathares.

Sans prétendre vouloir entrer dans une étude sociologique, laissons cela aux spécialistes, il est tout de même curieux de constater que la religion cathare et la tauromachie (espagnole, landaise, camarguaise), fortement implantées dans le sud du pays, possèdent un point commun. Toutes deux, à leurs époques respectives, participent au décloisonnement la société.

Alors que le Moyen-Âge cantonne la femme à un rôle de soumission, et malheureusement cela perdure encore parfois de nos jours, le catharisme permet à ces mêmes femmes de vivrent une vie quelque peu différente. Elles peuvent avoir mis au monde des enfants, travaillé, être de toutes conditions sociales, et épouser cette religion. Contrairement aux religieuses cloîtrées dans les monastères, les parfaites cathares accédèrent à un pouvoir sacerdotal, et menèrent une vie apostolique tout en étant ouvertes vers l’extérieur, avec non seulement le prosélytisme qui leur était permis, mais aussi les soins à apporter aux malades.
La tauromachie, même si elle fût longtemps machiste, s’ouvre de plus en plus aux femmes, et l’on voit avec plaisir (du moins me concernant) ces dames être connues et reconnues dans le mundillo. Non seulement des toreras ou rejoneadoras, mais aussi accéder à la présidence de clubs taurins, à la direction d’école de tauromachie, des rôles dans des commissions taurines et aux palcos, et ce qui n’est pas rien, être des références par divers ouvrages publiées. Je pense notamment à Sandra Alvarez, Marie-Claire Bonnaure, Araceli Guillaume-Alonso, Annie Maïllis, sans oublier Catherine Le Guellaut et Nadège Vidal.

Toujours d’après les historiens et archéologues spécialisés, tout en prenant les précautions d’usages car le développement géographique du catharisme ne suit pas toujours cette logique, les chroniques inquisitoriales laissent à penser qu’il est un lieu de vie privilégié pour cette religion, à savoir le castrum. Ce système d’habitat propre aux régions méridionales et au nord de l’Italie, regroupe autour du donjon ou de l’église, toutes les habitations du village. Faisant ainsi coexister les coseigneurs, chevaliers, paysans et artisans, ce qui facilitait les échanges entre tous les protagonistes de la société.
Des lieus privilégiés d’échanges, la tauromachie en connaît aussi. Les tendidos mais aussi les cercles taurins, permettent aux personnes de toutes professions et de toutes couches sociales de partager l’instant et l’espace tauromachique. La communion autour du taureau par des hommes et des femmes qui s’intéressent à l’art de Cuchares, mais aussi dans une vision plus large aux courses landaises et camarguaises, sans omettre les amateurs de recortadores et d’encierros, permet une cohésion pendant un temps défini par l’acte taurin. Mais cette cohésion ne reste pas lettre morte la course terminée, car les amateurs sont appelés à se croiser dans d’autres circonstances, et ils n’oublient pas lorsqu’ils se voient ailleurs, qu’ils partagent une même passion, une fraternité taurine permettant ainsi les échanges.

Affirmer que cet esprit de décloisonnement sociétal a engendré l’intérêt des peuples méridionaux pour le catharisme et la tauromachie, serait un raccourcis trop facile à emprunter. L’on rencontre sous toutes les latitudes des personnes ouvertes et respectueuses des autres, comme l’on croise parfois dans le monde taurin, des gens soucieux de garder une certaine distance vis à vis des autres. Le monde n’est pas parfait d’un côté et imparfait de l’autre.
Il paraît toutefois curieux que ce soient les terres méridionales qui ont vu plusieurs « hérésies » développer leurs idées jusqu’à ce que connue le catharisme, mais aussi des mouvements philosophiques controversés comme la franc-maçonnerie qui sont fortement implantés, ou encore la tauromachie qui a prospéré tout en ne laissant pas insensible. Il est tout aussi étonnant de constater que ces courants de pensées et la tauromachie, par leurs actes, décloisonnent la société de par leurs fonctionnements ainsi que les valeurs qu’ils véhiculent. Peut être est-ce là matière à réflexion ?

Il y a tout juste 800 ans, dans le midi de la France, une religion fût exterminée sur ordre de personnalités religieuses extérieures, n’acceptant pas la contradiction sur le sens de la vie et donc de la mort. Huit siècles plus tard, sur les mêmes terres, des activités taurines sont décriées par des individus souvent de cultures différentes, et n’acceptant pas que d’autres voient la vie et la mort différemment d’eux.

Aucun commentaire: