mardi 27 octobre 2009

Le matador et la diva.


Il est des sujets pour lesquels l’on porte un certain intérêt, et dont l’origine de l’attrait est parfois des plus surprenante. Même si l’afición a los toros est née dès l’enfance, il est courant bien des années plus tard, de faire des découvertes permettant la poursuite du cheminement sur la terre des toros. Cette terre taurine, indissociable de la terre des hommes, cette culture taurine, inséparable de la culture Humaine, et ce depuis des siècles.
Les avis étant subjectifs, chacun et chacune aura une représentation bien personnelle de cette alliance taurino-humaine. En général, il s’agit d’un torero, dont les prestations dans les ruedos mais aussi en la calle, rassemblent l’idée même que l’on se fait de la vie et de la corrida de toros. Je ne peux cacher que parmi les toreros contemporains, Francisco Rivera « Paquirri », Christian Montcouquiol « Niméño II » et Victor Mendes ont marqué mon afición. Au début du XXè siècle, c’est José Gomèz « Josélito », qui paraît le plus représenter mon idéal taurin, de par sa conception de la tauromachie*. Mais si il est un torero pour lequel mon intérêt est grand et ce pour diverses raisons, il s’agit bien de Luis Mazzantini.

Déjà évoqué sur ces colonnes à quelques reprises, je ne peux m’empêcher d’aborder une nouvelle fois ce matador, mais non pas sous son passé de franc-maçon comme réalisé dernièrement. Cette fois-ci il s’agit d’un article lu il y a plus de 18 mois, signé de Manuel Henríquez Lagarde, et intitulé El matador y la diva.
Même si il est certain que les amants furent discrets sur leurs amours, et que dans pareils cas l’on ne peut pas empêcher la rumeur de s’établir ainsi que les idées les plus folles, ce texte cubain comme d’autres, renseigne l’aficionado sur quelques points. Des points, des pierres, de l’édifice taurin qui peuvent paraître anodins, mais qui mis bout à bout avec patience, permettent de construire le puzzle d’une certaine époque tauromachique.

L’on passera aisément sur la façon décrite de manière quelque peu romancée, dont la diva et le matador ont été respectivement accueillis en terres cubaines. Par contre, l’on retrouve une fois de plus les accointances entre Don Luis et l’aristocratie, où le maestro rencontre entre autre la comtesse Fernandina. Mais il est dit aussi que c’est Luis Mazzantini acteur qui conquis d’abord la société havanaise, lors d’une représentation théâtrale au bénéfice du collège des petites filles de Jésus del Monte. Il joua dans une œuvre de Julian Casal, intitulée Echar la nave.

Luis Mazzantini tomba d’admiration pour Sarah Bernhardt, au point, un soir de représentation, de se diriger vers sa loge, accompagné par deux hommes de sa cuadrilla, à savoir Diego Cuatro Debos y Babila. Mais la rencontre fût des plus furtives, à peine quelques mots échangés de manière très brève, un dénommé Marty Gutiérez faisant barrage devant la loge.

Concernant le premier nommé des hommes accompagnant Don Luis, il semble s’agir plus exactement de Diego Prieto Barrera « Cuatro-Dedos ». Il est écrit dans l’hebdomadaire taurin « El Ruedo » en date du 23 octobre 1952, que don Diego est né à Coria del Rio (Sevilla) le 15 janvier 1858, alors que le « Cossio » donne comme date de naissance le 28 janvier 1856, et qu’il décéda à Mejico le 16 février 1918. Diego Prieto Barrera torea avec bon nombre de figuras. L’on retrouve aussi Diego Prieto en compagnie de Tomas Mazzantini, frère de Luis, en 1884. Apprécié aux Amériques, Don Diego, matador de toros de second plan en Espagne, est défini comme un torero bon muletero et estoqueador. Il semblerait donc que « Cuatro-Dedos » ne fût pas présent à La Havana en tant que membre de la cuadrilla mazzantinienne, mais en qualité de matador. Ce que semble confirmer la suite de la lecture du texte initial, puisqu’il y est dit que lors de la corrida du 23 janvier 1888, en la plaza de toros cubaine de Belascoaín, les deux premiers bichos furent facilement dominés par Mazzantini et « Cuatro-Dedos ».

Luis Mazzantini, qui réussit involontairement à répandre sa mode vestimentaire à la haute société havanaise, ne remplit pas les arènes malgré sa présence au cartel lors de cette journée de janvier. Ce fût même une course où le diestro parût couard à quelques reprises, pour se reprendre par la suite. L’on apprend aussi lors de la tarde cubaine, que le castoreño nommé Cantares, fût malmené par le troisième toro de la tarde, qui échut à Don Luis. Malmené le picador, au point de voir son maestro venir au quite. Les corridas cubaines étaient avec piques et mises à mort.

A l’issue de la corrida à laquelle Luis Mazzantini venait de participer dans un costume vert et argent, et lors de laquelle il s’était permis de poser une paire de banderilles, le maestro rentra à l’hôtel d’Angleterre, qui s’enorgueillit encore de nos jours d’avoir reçu Luis Mazzantini et Sarah Bernhardt en ses murs. La, un garçon l’attendait avec une carte sur laquelle il était noté que les mots entendus dans la loge étaient insuffisants. C’est alors que Don Luis alla à « l’hôtel Petit » où était logée l’actrice.

La légende qui semble s’être construite autour de cet amour entre le torero et l’actrice française, amène à évoquer des faits qui paraissent très surprenants. Comme par exemple dans ce texte de Manuel Henríquez Lagarde, où il est évoqué une scène quelque peu intrigante.
Invité à entrer dans la chambre de l’actrice, Don Luis se déshabille et se couche dans le cercueil qui, d’après les dires, accompagne toujours « La voix d’or », et l’invite à le rejoindre. Ainsi couchés dans les bras l’un de l’autre, Sarah Bernhardt lança tu vois, c’est le monde, l’amour, toutes les grandes choses, une ligne simple, une limite imperceptible entre la vie et la mort. Les amants s’embrassèrent, au milieu des cris des animaux qui accompagnaient l’actrice et logeaient eux-aussi dans sa chambre.

Nous laisserons aux lecteurs et lectrices de ces colonnes, le soin d’apporter l’intérêt qu’il ou elle jugera utile à cette dernière scène, incongrue et totalement décalée vis à vis de l’image que l’on peut avoir notamment du torero. Mais il est à souligner que même si l’imagination de l’auteur initial du texte semble ici débordante, une photographie parue en 1903 dans un magazine américain, représente l’actrice se reposant dans sa maison et dans un cercueil. Sarah, qui a l’âge de 15 ans, déjà excentrique et morbide, faisait la sieste dans le cercueil qu’elle s’était acheté.

Une semaine après la naissance de cet amour et la corrida de la plaza de Belacoaín, le périodique La voz de Cuba, informe du déroulement de la corrida a puerta cerrada, que Luis Mazzantini donna en l’honneur de Sarah Bernhardt. Et le journaliste de la voix de Cuba de conclure son article de 1888, ved aquí los frutos de la estrecha alianza y de la íntima unión entre una ilustre trágica francesa y un matador de toros español.


* L’on peut lire à ce sujet l’excellent livre de Joël Bartolotti intitulé « Gallito, matador de toros, de l’enfant roi au Dieu mortel » (Editions UBTF, 1997).

mardi 20 octobre 2009

José Manzano y Pelayo "El Nili".


Parmi les quelques noms de toreros qui furent francs-maçons, l’on peut mentionner celui de José Manzano y Pelayo, connut dans les ruedos sous l’apodo de « El Nili ». Comme pour bon nombre de ses coreligionnaires, nous n’avons pas traces précises des activités maçonniques de « El Nili », mais son état d’initié aux mystères et privilèges de la franc-maçonnerie, est rapporté dans quelques textes de la façon suivante, el dia 1.° noviembre de 1869 falleció en Sevilla, costeando su entierro los hermanos de la escuadra y del compás, pues ya he dicho que fué francmasón.

C’est dans ce même texte de Don Ventura, relatant brièvement la carrière taurine de El Nili, que l’auteur ironise quelque peu, en précisant que le fait d’avoir été franc-maçon n’a pas empêché José Manzano y Pelayo d’être un bon torero, et qu’être membre d’une loge maçonnique ne semble pas avoir annulé ses qualités de liliador. Bernardo Casielles Puerta, Luis Mazzantini et dans un autre registre « Cantinflas », démontrent en effet qu’être franc-maçon n’est pas incompatible avec les métiers des arènes, ni par ailleurs avec d’autres activités.

Si l’on osait, l’on pourrait coller à la mode de voir du symbolisme maçonnique partout, et dire que El Nili était prédestiné à entrer en franc-maçonnerie, puisque né en 1828, un 7 janvier. Le chiffre 7, combien important dans la symbolique maçonnique. Mais laissons ces élucubrations aux « journaux » adeptes des marronniers, et regardons de plus près la carrière de José Manzano y Pelayo « El Nili ».

En 1851 il est banderillero dans la cuadrilla de Manuel Trigo, et ensuite le 15 août 1857, c’est sa première apparition à Sevilla, sa ville natale. Durant les années 1857 et 1858, il alterne avec entre autre Cuchares, Cayetano, El Tato. Lors de son ultime corrida à Jaén le 15 août 1869, il était au cartel avec Lagartijo. Entre temps, il prît l’alternative a Granada le 15juin 1857, des mains des « El Gordito ».

Deux traits de caractères de José Manzano y Pelayo nous intéressent ici, car ils semblent bien en adéquation avec une initiation en franc-maçonnerie. Le premier étant celui de posséder un caractère indépendant, caractère qui l’a maintenu dans un certain isolement taurin. Cela peut paraître paradoxal d’être franc-maçon, d’appartenir à un groupe dont la fraternité est essentielle, et aimer être indépendant. Mais à bien y regarder, l’on trouve dans la conception même de la franc-maçonnerie, une démarche d’indépendance, aussi bien au niveau de la connaissance de soi que de la somme de travail à réaliser pour l’amélioration de l’Etre. Toutes ces démarches, dans quelques domaines qu’elles soient, ne sont que les fruits d’un travail individuel, réalisé par le seul intérêt porté au cheminement vers la quête, en totale indépendance justement. De plus, l’indépendance est souvent associée à l’esprit libertaire, et quelques spécialistes mais aussi des francs-maçons eux-mêmes, trouvent et ressentent une essence libertaire dans cette association philosophique. Comme l’a précisé entre autre Léo Campion, la vocation libertaire de la maçonnerie est indéniable. Il semblerait que le fonctionnement au sein des loges maçonniques ait séduit Campion, mais aussi Michel Bakounine, les trois frères Reclus (Élie, Élisée et Paul), Proudhon, Giuseppe Mazzini (qui proclama la République à Rome en 1848), et bien d’autres esprits indépendants.
Il est à noter que ce caractère indépendant prêté à José Manzano y Pelayo « El Nili », l’isola de la majeure partie du monde taurin, malgré qu’il fût un excellent torero, fin et classique. Il connaissait bien les secrets de sa profession. Le « Cossio » rapporte que ses contrats auraient été bien plus nombreux, si il avait été plus discret et discipliné dans l’arènes comme dans la rue. Discipliné dans l’arène, sûrement en rapport avec son grand manque de régularité dans la suerte suprême. Car il est connu que « El Nili » n’excellait absolument pas avec l’acier. Des échecs que le « Cossio » attribut à son caractère individualiste, admettant à grand-peine les leçons de ses confrères.

L’on peut s’interroger sur le pourquoi de cette notification du « Cossio » a propos du comportement dans la rue, à savoir le comportement sociétal, de notre torero. C’est ici que l’on retrouve le second trait de caractère de ce torero franc-maçon. Un engagement pour des valeurs, et notamment son engagement à Madrid auprès des chefs de la « Révolución de septiembre ». Comme on le sait, les toreros qui furent francs-maçons eurent des engagements sociétaux très forts. Casielles Puerta s’engagea aux côtés des Républicains pendant la guerre d’Espagne, Luis Mazzantini fût entre autre élu politique, et « Cantinflas » oeuvra énormément et le plus souvent dans l’ombre pour les plus démunies de ses compatriotes au point de ce voir proposer des hautes fonctions qu’il refusa.
Concernant « El Nili », être franc-maçon à cette époque des premières fortes implications des loges ibériques dans la société, associé à son fort caractère, ne pouvait que l’inciter à prendre une place au sein de « La septembrina ». A quel degré fût cet engagement, pour l’instant nous n’en savons rien, mais suffisamment important pour que le monde taurin l’isole. Il ne faut pas oublier que la première période de la franc-maçonnerie espagnole s’étend de 1800 à 1868, et que cette dernière était considérée comme hors la loi pendant les années 1833-1843 et ses membres étaient persécutés comme ils le seront aussi un siècle plus tard. Des gouvernements qui interdisent, un régime religieux qui s’associe à l’interdiction, il n’en faut pas plus pour marquer la conscience du peuple.

« El Nili » fût donc membre assez jeune de la franc-maçonnerie, puisque décédé à 41ans. L’on sait à la lecture de tableaux de loges ibériques, que cela n’était pas un cas isolé, alors qu’à notre époque, la moyenne d’âge est plus élevée et que la quarantaine est la tranche d’âge des postulants. La jeunesse et le tempérament de José Manzano y Pelayo « El Nili », l’ont probablement incité à prendre une place active dans sa loge.

Quoi qu’il en soit, José Manzano y Pelayo « El Nili » est le premier dans la chronologie des toreros francs-maçons connus à ce jour. L’histoire taurine n’a pas certes pas retenu son nom comme elle a pu le faire pour d’autres. L’on retient de nos jours son caractère indépendant, mais il a été fidèle à lui-même, sans se renier, passant au delà des déboires que cela lui apportait, un comportement comme cela doit et devrait l’être pour tout franc-maçon, mais aussi un véritable comportement de Torero.

jeudi 15 octobre 2009

Luis Mazzantini y Cuba


Il est des moments, où le travail de recherche nous mène à la découverte de choses inattendues. Cela s’est produit lors de la lecture d’un livre de Michel del Castillo, qui permit, même si ce n’était pas l’objet initial de la lecture, d’entamer par la suite de petites recherches à propos de Melchor Rodriguez ancien novillero et militant anarchiste. Ou bien au sujet de « Cantinflas », torero comique, acteur rival de Charlie Chaplin que ce dernier qualifiait de plus grand, et aussi franc-maçon. Mais encore, Bernardo Casielles Puerta, torero, franc-maçon et combattant républicain. Tout ceci fût déjà mentionné lors d’articles précédents sur ces colonnes, mais il fût aussi abordé ce court plaisir de croire un instant, avoir trouvé une piste vis à vis de l’impact de la mort en France de Espartéro. Plaisir éphémère, sur le seul fait de la lecture d’archives de la franc-maçonnerie espagnole, comme déjà raconté ici-même.

Mais parmi les acteurs taurins qui nous intéressent sur ce blog, bien entendu nous trouvons Luis Mazzantini. Torero que l’on ne présente plus aux aficionados, initiateur du sorteo, spécialiste de l’estocade a volapié, commissaire de police, responsable ferroviaire, un temps chanteur d’opéra, ou encore élu politique et franc-maçon. De Luis Mazzantini, autant sa carrière de matador est plus moins connue des aficionados et son activité de franc-maçon l’est beaucoup moins, autant il est souvent mentionné ses prétendues aventures sentimentales, notamment avec l’actrice Sarah Bernhardt,

A ce sujet, le site internet de « Habana Radio, émisora de la Oficina del Historiador de la Ciudad de la Habana », rapporte un article de Miguel Ernesto Gómez Masjuán en date du 14 décembre 2007, qui aborde rapidement la rencontre entre le matador et la diva. Leurs yeux se seraient croisés lors d’une vuelta du torero à l’issue de l’une de ses corridas cubaines, et plus précisément en cette année 1886. La romance veut que ce simple regard est captivé les futurs amants. Une romance qui va pousser le Don Luis à offrir une corrida a puerta cerrada, pour le seul plaisir de l’actrice. C’est du moins ce que rapporte l’auteur de la chronique, d’après un article de l’époque publié dans un journal français, « Le Figaro ».

Mais cette romance entre les deux célébrités d’alors, car il semblerait qu’ils n’ont pas été avérés par les intéressés eux-mêmes, ne sont bien entendu pas vérifiables. Par contre, ce qui est certain, c’est que Luis Mazzantini a marqué de son empreinte l’île cubaine, même et surtout au delà de l’afición. Torero de grande notoriété, cette dernière du fait de ses prestations dans les ruedos, mais aussi de par son parcours atypique avant d’en venir aux toros, Luis Mazzantini n’était en aucun cas la représentation parfaite de l’image du matador à cette époque. Atypique, il continua à l’être lorsqu’il se coupa la coleta, en embrassant une carrière politique, carrière désirée bien avant sa retraite taurine. Rares furent les toreros d’alors à s’impliquer avec une telle notoriété dans la vie de la cité. Bien entendu, il y eut des cas comme Melchior Rodriguez ou bien quelques autres, mais l’ensemble de ces matadors n’eurent pas la carrière taurine de Luis Mazzantini.

A Cuba, ce qui attire aussi l’attention vis à vis de Luis Mazzantini, c’est le financement par le torero de la construction du « Palais des cris » de la Havane. Ceci pouvant paraître surprenant. Mais au moment ou des obédiences maçonnique locales comme la « Gran Logia de la Isla Cubana » en 1880, s’occupaient tout d’abord à faire vivre trois écoles publiques, il se pourrait que des besoins pressants d’infrastructures aient été pointés. Don Luis n’était pas encore un homme politique, mais son envie d’embrasser une telle carrière était pourtant présente bien avant sa retraite des ruedos. En homme se voulant à l’écoute des besoins des autres, mais aussi ses relations avec des personnalités politiques comme des arts à l’époque, pourraient avoir inciter un tel geste. De plus, son activité maçonnique était forcément connue. Ces détracteurs savouraient un anti-maçonnisme primaire, se servant du fait qu’il soit initié pour faire valoir des prétendus passes droits afin d’avoir des contrats comme les corridas parisiennes de la rue Pergolèse, ou bien l’inauguration des arènes d’Oran. Des francs-maçons biterrois étaient aussi au courant de l’activité fraternelle de Don Luis, au point de la recevoir dans une loge de Béziers en 1882. Alors que dire des frères cubains, très impliqués dans la vie politique de l’époque, tout comme l’était le torero au point de rencontrer des hommes de pouvoir tels que William Jennings Bryan.

Ces point ont été soulevés dans « L’équerre, le compas, les toros », toutefois les recherches en ce domaine sont encore difficiles. Mais ce qui pourrait être rajouté, c’est qu’en homme de bonne volonté, le rapprochement avec son confrère et néanmoins rival Ponciano Diáz le prouve, Don Luis était peut être sensible à une sorte de diplomatie voulant apaiser les relations tendues alors entre Cuba et l’Espagne. Il ne faut pas oublier que la crise économique de 1866-1867, avait fait naître les premiers sentiments d’indépendance vis à vis de la couronne ibérique, et Luis Mazzantini n’était pas insensible notamment au roi Alfonso XIII. Quel meilleur « ambassadeur » qu’un torero célèbre, connaissant et pratiquant les codes de la « bonne société » mais aussi de la politique, de plus franc-maçon, pouvait se faire l’écho du soucis de l’Espagne envers cette terre de l’autre côté de l’océan ? Une terre où justement la franc-maçonnerie était bien présente depuis la fin du XVIII è siécle et plus précisément implanté à partir de 1804 grâce à un français, Jospeh Cerneau. Une franc-maçonnerie inquiétée par des premières persécutions lors de la crise des années 60, mais aussi quelque peu impliquée dès les prémices des désirs d’indépendance issues de cette époque. Une franc-maçonnerie, aussi partie prenante dans la création du « Parti Révolutionnaire Cubain ».

Le souvenir laissé par Luis Mazzantini en terres cubaines, pourrait ne pas être le seul fruit d’une supposée aventure amoureuse avec l’actrice française, ni de ses prestations tauromachiques. Ce point nous intrigue depuis déjà quelques temps, espérons qu’un jour prochain la lumière se fera sur cette part de la vie de Luis Mazzantini, franc-maçon et torero atypique.

mardi 6 octobre 2009

Qui et combien ?


Les deux sujets communément traités sur ces colonnes, et qui font l’intérêt, à la vue du nombre régulier de visiteurs, de ce blog atypique qui semble être unique en son genre, appellent à de multiples interrogations. Des interrogations initiées il y a déjà presque une quinzaine d’année, lorsque la curiosité poussa à porter un regard plus soutenu sur le mouvement philosophique qui nous intéresse principalement ici, et nous montra que en quelques domaines, il y a avait des accointances avec la tauromachie. A mesure des recherches et investigations, l’on arrive, même si l’on est qu’un modeste amateur, à dénicher des informations qui enlèvent certains doutes, mais d’autres informations qui aussi rajoutent des interrogations.

Et parmi ces nombreux questionnements, il en est un revenant fréquemment, qui est de savoir qui et combien de personnalités plus ou moins connues du mundillo, auraient pu être, voire ont été, membres de la franc-maçonnerie. Il n’est pas question ici de singer cette « presse » plus adepte du racolage que de la véritable information, et qui nous ressasse à intervalles réguliers les mêmes fantasmes de complots, pouvoirs, et autres ramifications supposées, jusqu’à parfois des liens imaginaires et surtout non vérifiés, avec le Prieuré de Sion voire l’affaire du trésor présumé de Rennes le Château*. Ces choses qui pourraient être risibles, mais qui en fait, attristent à l’idée qu’elles ne font que perdurer des idées reçues, que tout le monde sait n’être que le fruit de mauvaises intentions. Il n’est donc pas question de cela sur ces colonnes, et si l’interrogation sur qui et combien d’acteurs taurins ont été franc-maçons est toutefois bien la, c’est que pour l’aficionado a los toros véritablement passionné, il est des réponses pouvant être ainsi apportées notamment vis à vis de quelques acteurs taurins.

Mais outre les noms de toreros dont l’on sait qu’ils furent franc-maçons, comme Bernardo Casielles Puerta, « Cantinflas », Luis Mazzantini, il serait intéressant de savoir si d’autres acteurs, n’auraient pas eu les deux centres d’intérêts. Les informations étant assez difficiles à acquérir, notamment parce que la dernière dictature espagnole fît disparaître beaucoup de documents, et qu’il fût préférable aux franc-maçons de ne pas se faire connaître, ceci malgré que Franco était lui-même fils et frère de franc-maçon, quelques interrogations ne trouvent donc que des réponses supposées. A regarder l’histoire de la franc-maçonnerie espagnole, l’on constate des patronymes qui existent aussi dans le monde taurin. Comme entre autre Urquijo. Mais n’ayant à ce jour aucune information plus précise, malgré les investigations, qui espérons le, porterons leurs fruits assez rapidement, intéressons nous le temps d’un article à un autre domaine. A savoir la possibilité de franc-maçons impliqués dans la construction des arènes de Las Ventas.

Soyons honnêtes dès maintenant, il n’y a aucune réponse ferme et définitive à ce jour, tout n’est de l’ordre de la supposition. Mais à lire l’étude de Olivia Salmon Monviola intitulée « Une frontière dans la ville : les franc-maçons dans la ville de Madrid (1900-1936)** », l’on peut laisser aller l’imagination.

L’actuelle plaza de toros de Las Ventas à Madrid, située calle Alcalá, fût inaugurée le 21 octobre 1931. Nous sommes donc en pleine période étudiée par Olivia Salmon Monviola. Et à ce moment la, il est intéressant de noter que c’était sur la calle Alcalá qu’était situé le Café de Madrid qui était le point de rencontre des créateurs de la génération de 98 , mais aussi l’un des lieux emblématiques de la sociabilité culturelle madrilène, à savoir le Café del Gato Negro. Dans les cafés justement, se déroulaient les tertulias, tout comme aussi dans les rédactions des journaux. Ces rencontres principalement d’intellectuels, étaient informelles et quotidiennes, composantes d’un ensemble de sociabilité propre à la capitale ibérique. Mais la calle Alcalá, c’était aussi à ce moment là, le cœur du triangle financier de la capitale, des activités économiques mais aussi politiques.

La franc-maçonnerie madrilène était composée de 37 loges, ainsi que de 3 chapitres philosophiques, qui sont des ateliers dits de « hauts grades » ou bien de « perfectionnements ». Ce chiffre de 37 loges, est, comme le précise l’auteure de l’étude, basé sur le nombre de lettres patentes pour chacune des obédiences présentes. Entre 1931 et 1936, c’est la Gran Logia Española qui connaît le plus grand essor dans la capitale, avec pas moins de 15 loges crées. Et c’est au 171 de la calle Alcalá, que s’installèrent les loges maçonniques de cette obédience.

Comme les loges maçonniques, sont le reflet des micros sociétés qui évoluent à l’intérieur de sociétés englobantes plus complexes, la géographie dans laquelle elles se développent, est, pour Olivia Salmon Monviola, une interaction des loges avec l’espace de sociabilité. Il semblerait donc qu’à cette époque, l’implantation des loges maçonniques, influe sur le tissus sociétal du quartier où elles se situent. Ces implantations dans des endroits à fortes concentrations humaines, proches des lieux des fréquentations familières aux madrilènes, facilitaient entre autre la pérennité des loges, par une facilité d’accès à la franc-maçonnerie pour toute une couche sociale.

A regarder avec attention le tableau des différentes catégories socioprofessionnelles qui composaient les loges maçonniques madrilènes de l’époque, l’on constate que outre les employés et fonctionnaires représentant 32% des franc-maçons, les gens du commerce et de l’industrie étaient au nombre de 13%, et les artisans représentaient 10% de la composante des loges. Au fait que l’implantation d’une loge d’alors, n’est pas étrangère à la catégorie socioprofessionnelle qui la compose, comme cela fût constaté à plusieurs reprises, comme des salariés des hôtels Ritz et Palace, dans une loge située à proximité, ou alors des acteurs et artistes membres de la loge « Hispanoaméricana » proche elle des théâtres, l’on est en droit de s’interroger concernant les métiers liés au bâtiment qui ont œuvrés lors de la construction de la plaza de toros. Surtout que la présence de la Gran Logia Española sur la rue Alcalá, et les deux exemples cités précédemment, n’interdisent pas l’idée même que des membres des différents corps de métiers aient été initiés à l’occasion de leurs présences sur le chantier du temple taurin madrilène.

Tout d’abord l’on pourrait regarder du côté des architectes, catégorie professionnelle étant comptée dans les professions qualifiées au nombre de presque 16%. Mais l’on ne sait pas encore si José Espeliú était franc-maçon. Les artisans, les différents corps de métiers du bâtiment, étaient sûrement représentés parmi les 10% d’artisans répertoriés et composants les franc-maçons de la capitale. Travaillant à la construction des arènes calle Alcalá, l’une des principales obédiences maçonniques espagnoles étant présente dans la même rue, la durée totale du chantier a probablement amené les uns à rencontrer les autres. D’autant plus que l’admission de franc-maçons artisans ne semble pas avoir été du simple fait des patrons, mais aussi des acteurs de petits commerces. Et lorsque l’on sait qu’une partie de la franc-maçonnerie ibérique était très tôt favorable au dialogue social, à la mixité sociétale, à l’esprit de laïcité développé par leurs frères hexagonaux, l’on peut se plaire à penser que même des ouvriers ont pu être amené à connaître l’initiation maçonnique. Surtout que cette classe sociale, des ouvriers, était quand même de l’ordre de un peu plus de 6%, ce qui pour un mouvement intellectuel, à connotation, il faut tout de même le reconnaître, élitiste sur le plan intellectuel, n’est pas négligeable.

Comme précisé plus en amont de ce texte, rien ne permet d’affirmer que des franc-maçons furent impliqués dans l’édification de la plaza de toros de Las Ventas, mais la lecture de l’étude de Olivia Salmon Monviola, n’interdit pas cette éventualité. A bien y regarder, elle la renforce même.



*Pour les lecteurs et lectrices intéressés, on ne saurait trop recommander « Rennes le Château, une affaire paradoxale » de Laurent Buchholtzer (Editions de l’œil du Sphinx, 2008). ISBN 2-914405-45-6. Cet ouvrage apporte une autre vision sur la légende du supposé trésor de l’abbé Saunières, mais aussi remet à sa juste place le mythe du Prieuré de Sion.

**« Une frontière dans la ville : les franc-maçons dans la ville de Madrid (1900-1936) » par Olivia Salmon Monviola, Cahiers de la Méditerranée, volume 73-2006.