lundi 1 mars 2010

Luis Fernandez, un humaniste et le Minotaure.


Autant le préciser immédiatement afin de ne pas décevoir le lecteur assidu ou bien occasionnel de ces colonnes et intéressé par la peinture, il ne sera pas ici effectué une profonde analyse des oeuvres de Luis Fernandez (Oviedo 1900 – Paris 1973). Nous laisserons cela aux spécialistes des arts picturaux.

Mais si nous avons désiré aborder ce peintre et sculpteur en ce modeste blog, c'est pour deux raisons. Tout d'abord, parce que Luis Fernandez participa activement à une oeuvre signée de Pablo Picasso, dont les aficiondaos a los toros connaissent l'attrait pour la tauromachie. Les spécialistes des arts picturaux, voient dans les oeuvres de Luis Fernandez, une évidente inspiration de son ami Picasso. Les relations entre les deux hommes étaient bien réelles, comme le souligne l'épouse de l'artiste asturien, dans une lettre datant de 1995 à propos de leur collaboration. Collaboration qui dura une dizaine d'année, pendant laquelle notamment, Picasso sollicita en 1936 l'aide de son ami pour la réalisation du rideau de scène du Théâtre du Peuple, commandé par Jean Zay, franc-maçon alors ministre de l'éducation qui sera emprisonné et exécuté par la milice. Difficilement réalisable en un temps assez court, Picasso demanda à son ami Luis Fernandez de réaliser une esquisse de sa « Minotauromachie », série aussi intitulée « Pillage du Minotaure en costume d'Arlequin ». L'ensemble de cette commande est connu sous le titre « Le rideau de scène pour le quatorze juillet ».Une participation du peintre et sculpteur natif d'Oviedo, pour laquelle il fût obligé de dessiner et peindre à même le sol étant donné la taille de la toile. Une oeuvre que Picasso s'est contenté de souligner en noir les contours et de signer, tout en faisant remarquer dès que l'occasion lui en était donné, que c'était son ami Luis Fernandez qui en était l'auteur.

Etant donné l'implication de Luis Fernandez dans le projet, sa sincère amitié avec Pablo Picasso, nous pouvons penser que le peintre asturien participa grandement à l'influence du résultat final. Les spécialistes sont d'accord pour accorder une réelle influence de Don Pablo dans les oeuvres de son ami Don Luis, et rien n'interdit de penser que la réciprocité pourrait aussi être effective.

Et c'est ici que l'aficionado a los toros qui n'est pas insensible aux choses symboliques, est interpellé dans ce rideau de scène. En effet l'on s'aperçoit que la tête du Minotaure se situe au mitan de l'oeuvre, le plaçant ainsi le sujet au centre du monde. Ce Minotaure représenté tel un pantin désarticulé, n'est pas sans faire songer à la scène de la dramaturgie hiramique évoquée en franc-maçonnerie, ou la chair quitte les os, ou tout se désunis. Au delà du caractère morbide de la scène, les analystes de Pablo Picasso voient dans le personnage à la tête de faucon portant le Minotaure, des disproportions symétriques qu'ils qualifient de voulues par l'artiste. Les formes de gauche offrant, pour ses critiques, une vision de dynamisme, de légèreté, d'élévation, tandis que celles de droite renvoyant à la notion de pesanteur, de massivité, de raideur. Dans ce rideau de scène, encore des spécialistes perçoivent des allusions mythologiques, tauromachiques et personnelles de l'artiste. Nous remarquerons toutefois la triangulation formée par les trois têtes des personnages, mais aussi l'homme barbu brandissant une pierre. Serait-ce l'allégorie de la pierre brute, celle que l'être humain doit polir pour parfaire sa vie avant la mort ainsi représentée et que l'on trouve notamment dans tout le cheminement maçonnique ?

Le lecteur ou la lectrice qui s'arrête sur ces colonnes, doit légitimement s'interroger de cette perception du rideau de scène, et d'en ramener des éléments à une vision maçonnique. Si nous nous permettons cette approche, c'est que comme il a été écrit précédemment, Luis Frenandez participa activement à l'élaboration de l'oeuvre, et le peintre asturien était franc-maçon.

Il fût initié au Grand-Orient de France, le 24 janvier 1927 dans la loge parisienne « Fraternité ». Un engagement qu'il poursuivit jusqu'à ses derniers jours, et qui le vit en 1970 être nommé membre honoraire de son obédience. Ayant renoncé à tout engagement politique, l'artiste vivait son cheminement en franc-maçonnerie comme une simple satisfaction personnelle. Une individuation que les exégètes picturaux retrouvent dans sa peinture, mais aussi dans la fuite de toute reconnaissance publique, comme dans ses relations amicales. L'idéalisme ésotérique recherché dans sa peinture, Luis Fernandez le mentionne dès 1934, en affirmant qu'une forme géométrique ou bien un objet peuvent être exprimé par inadvertance, et fait référence à la pensée analogique comme magique. Il est aujourd'hui reconnu que son initiation en franc-maçonnerie a fortement influencé son oeuvre picturale, et lui-même reconnaissait son désir de l'apprentissage et du perfectionnement de son métier à l'image du travail en loge des francs-maçons. Mais une autre sensibilité maçonnique se fait ressentir, il s'agit du monde symbolique. Cette vision allégorique trouvera son point culminant à partir de 1953, avec la peinture d'une série de crânes ou de roses, symboles de renaissance mystique. Cette renaissance que l'on trouve dans la représentation du Minotaure en habit d'arlequin signé par Pablo Picasso.

Nous sommes conscient que évoquer une telle influence de la part de Luis Fernandez dans l'oeuvre de Picasso, peut sembler incongru, d'autant plus émanant d'un aficionado a los toros lambda, simplement curieux et attiré de façon basique vers certaines idées de mouvements philosophiques. Toutefois, ceci n'est pas plus déplacé que l'idée de penseurs des arts picturaux mentionnant que le peintre malageño n'avait aucunement conscience des parallélismes représentés dans le rideau, les classant même « d'étonnantes coïncidences ». Des coïncidences qui le sont peut être pas tant que cela, et qui pourraient provenir d'une vision différente, à savoir que pour cette oeuvre, Luis Fernandez apporta peut être à son ami signataire du rideau de scène bien plus que l'on ne croit.

Aucun commentaire: