samedi 2 janvier 2010

"Arènes sanglantes", suite...


Il y a quelques mois sur ces colonnes, nous avons publié deux articles concernant le roman de Vicente Blasco Ibañez « Arènes sanglantes » (Sangre y arena). Cette œuvre, se déroulant dans le monde de la corrida de toros, fût abordée sous un aspect assez particulier, puisque il a été souhaité de déceler dans ses lignes, des éventuelles relations symboliques avec la franc-maçonnerie. Ceci non pas afin de vouloir enrichir à tout prix ces colonnes d’une nouvelle perception entre cette association philosophique et la tauromachie, mais tout simplement parce que Vicente Blasco Ibañez était lui-même franc-maçon, comme nous l’avons déjà mentionné lors d’articles précédents, et comme la biographie de cet auteur le démontre.

L’idée d’essayer de percevoir dans ce roman quelques allusions aux mystères de la franc-maçonnerie, s’est faite jour lors du travail sur le manuscrit de « L’équerre, le compas, les toros », suite à des lectures qui laissaient apparaître que des réalisateurs, auteurs, compositeurs ou bien encore musiciens qui furent ou sont francs-maçons, ont laissé poindre dans leurs réalisations des liens allégoriques avec leur cheminement maçonnique. Comme la franc-maçonnerie n’est pas si distante que cela avec l’art de Cuchares, au grand damne des anti-taurins véhiculant l’idée infondée et fallacieuse que la corrida de toros est seule en accointance avec l’idéologie franquiste*, alors que ces mêmes contempteurs taurins s’en prennent à notre droit et liberté propre d’aimer la tauromachie, nous avons débuté la lecture certes atypique mais combien surprenante de « Arènes sanglantes ».

En ce début de temporada, et avant de retourner sur les tendidos dans quelques semaines, nous poursuivons donc la démarche par ce nouvel article, qui en appellera d’autres, en nous arrêtant cette fois au début du troisième chapitre du roman « Arènes sanglantes ». A ce moment de la lecture, il est en effet intéressant de constater que le héros, Juan Gallardo, matador de toros, maestro comme l’on appelle aussi les matadors d’alternatives, se trouve être orphelin de père. Sa mère, la señora Angustias, était l’épouse d’un savetier sevillan. Contrairement à un comte mathématique et philosophique contemporain**, le savetier de « Arènes sanglantes » est présenté comme étant plus enclin a aller boire un verre de vin et a aller aux arènes, que de s’interroger sur la suite de Fibonacci, mais aussi que d’assister son épouse pour élever leurs enfants. Les anti-flamenquistes ont pu trouver dans cette présentation du père du torero, de quoi insulter la corrida qui amènerait à devenir alcoolique et à délaisser épouse et enfants.
Cette mère portant seule le poids de la charge familiale, avait mis au monde la fratrie de la famille Gallardo, composée de Juan et de sa sœur Encarnación. Il n’aura pas échappé ici au lecteur et la lectrice avisé de ces colonnes, intéressé par quelques histoires symboliques et philosophiques, que Juan Gallardo, maître-torero, est le fils d’une veuve, tout comme maître Hiram, personnage central de la dramaturgie maçonnique au troisième degré.

Afin d’être quelque peu précis, il est à noter que deux personnages légendaires ont porté le nom de Hiram. Le premier, roi de Tyr, est connu pour ses relations avec le roi Salomon et la reine de Saba, et se trouve d’après des spécialistes, mentionné dans quelques textes d’occultismes d’influence rosicrucienne. Mais ce roi Hiram est très peu rencontré dans la tradition maçonnique. Toutefois des textes rapportent que Hiram Abi (ou Hiram Abiff) de son patronyme de naissance, était le fils du roi de Tyr, et que ce dernier décédé, c’est son fils qui s’attela à la tâche de la construction du temple de Salomon. Mais si il doit y avoir juxtaposition entre le héros du roman de Blasco Ibañez et le maître Hiram de la franc-maçonnerie, c’est du côté d’une autre vision de l’architecte du temple de Salomon qu’il faut regarder.

Dans la dramaturgie maçonnique, qui fait apparaître Hiram dès les rituels du XVIIIè siècle et qui fût même évoqué en 1717 dans les Constitutions fondatrices de la franc-maçonnerie et rédigée par le pasteur Anderson, l’architecte du temple du roi Salomon, a bien perdu son père, mais ce dernier était un artisan du bronze. Ici aussi, le lecteur et la lectrice intéressés par quelques histoires symboliques et philosophiques, aura remarqué que le père de Hiram, tout comme celui de Juan Gallardo, travaillait de ses mains, tout deux étaient artisans. Coïncidence, ou ressemblance volontaire voulue par Vicente Blasco Ibañez ? Etant donné l’initiation en franc-maçonnerie de l’auteur, et de son attachement pour cet idéal, nous pencherons pour la seconde version. Car de plus, même pour souligner une condition familiale de pauvreté, rien n’obligeait l’auteur de « Arènes sanglantes » à donner une pratique professionnelle artisanale au père du torero, une activité de paysan aurait tout aussi bien été signifiante d’une condition très modeste.

Afin de couper court à une éventuelle dérision que pourraient être tentés d’apporter quelques personnes envers ce qui vient d’être écrit, le lecteur doit savoir que nous sommes tout à fait conscients que l’on peut faire dire tout et n’importe quoi lors de l’interprétation d’une lecture, et d’autant plus lorsque l’auteur est passé à l’orient éternel. Mais nous ne pouvons pas occulter cette similitude entre le torero, personnage central de l’œuvre du romancier ibérique, et maître Hiram. Et cela ne s’arrête pas la en ce début de troisième chapitre du roman, car comme évoqué plus haut, Juan Gallardo se trouve donc être le fils d’une veuve, tout comme maître Hiram architecte du temple du roi Salomon. Coïncidence ici aussi , ou volonté de l’auteur ?

Maître Hiram était architecte qui excellait dans divers corps de métiers, que ce soit le dessin, la fonderie, les tissus, la métallurgie. Il était maître dans l’art de construire, connaissant les différents métiers nécessaires à l’édification du temple. Comme Juan Gallardo et maître Hiram étant orphelins de pères, et donc chacun fils d’une veuve qui à la charge de leur éducation, l’on ne peut s’empêcher de réaliser une nouvelle comparaison entre ces deux personnages, l’un légendaire et l’autre héros d’un roman. Une comparaison qui est de voir dans l’accès au firmament de la profession du torero, la nécessaire maîtrise des arts qui compose l’art de Cuchares. Le métier de tisserand connu de l’architecte se retrouve dans les goûts vestimentaires du matador, le dessin dans la réalisation des passes de cape et autres muletazos. La métallurgie, métier combien complexe dans la composition des alliages et des résistances des métaux, se retrouve dans la juste connaissance de la lidia, qui se doit d’être adaptée à chaque toro affronté, car ce dernier étant Un et unique.

Même si les ressemblances entre Hiram et le personnage de Juan Gallardo inventé par Vicente Blasco Ibañez sont bien perceptibles, et nous invitent à croire que l’auteur a souhaité laissé poindre des liens entre son roman qui se déroule dans le monde des toros et sa connaissance de la franc-maçonnerie, nous n’oserons pas affirmer que l’auteur alla jusqu’à glisser dans son œuvre des détails allégoriques plus ou moins occultes. Mais maître Hiram connut une mort tragique, par sa rencontre avec trois mauvais compagnons, avides d’accéder aux connaissances des maîtres. Juan Gallardo rencontra-t-il aussi des mauvais compagnons ?

(A suivre…)


*L’engagement de gens du mundillo taurino, et notamment la « Brigade des toreros », démontre bien le contraire. Ceci sans oublier que des corridas de toros étaient données dans la Barcelona républicaine. Et que parmi les toreros, comme chez les différents acteurs du monde taurin, il y eut des francs-maçons. Il est à savoir que pour ces derniers, entre 1936 et 1975, pas moins de 16000 espagnols furent exterminés pour des relations avec la franc-maçonnerie. Le général Franco, dont le père et le frère étaient eux-mêmes francs-maçons, eut comme obsession de pourchasser les francs-maçons qu’il accusait de bon nombre de maux. Aujourd’hui, les membres de la franc-maçonnerie ibérique seraient au nombre de 4000, contre 250 000 en France (pour ceux qui adhèreraient aux idées d’une certaine presse voyant une immense influence maçonnique, les francs-maçons français sont moins nombreux que les membres réunis des deux principaux groupes politiques de l’hexagone).
**A ce sujet, lire « La spirale de l’escargot », de Armand Herscovici, paru en France aux éditions Seuil en 2000.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Selon vous, Ibañez est-il pour ou contre la corrida ?

Lionel a dit…

D'un avis tout à fait personnel, qui ne ne va pas dans le sens communément admis, je ne pense pas que l'on puisse dire que Vicente Blasco Ibañez était contre la corrida. Il ne l'aimait pas, ce qui est différent. L'on peut ne pas aimer, sans être contre et vouloir interdire, ceci par soucis de respect des libertés et des différences.
Son oeuvre "Sangre y arena" fût publiée à un moment ou l'anti-flamenquisme n'en était pas moins inscrit parmi une certaine idéologie de l'intelligentsia ibérique. Et lorsque l'on lit les propos de Eugenio Noêl, Miguel de Umanumo, l'on voit la différence avec ceux de Blasco Ibanez. Quant aux propos de l'auteur, représentant un cheval éventré dans les arènes, et qui sont attribués comme un sermon anti-taurin, ils ne font que décrire une scène qui se déroulait à une époque ou le peto n'était pas obligatoire.