mardi 19 janvier 2010

Une brève rencontre, le torero Luis Mazzantini et la soprano Félia Litvinne.


Afin de continuer à suivre les traces du torero Luis Mazzantini, arrêtons nous un instant sur l’une de ses multiples rencontres. Nous connaissons l’intérêt du diestro pour l’opéra, dont il tenta d’embrasser la carrière. Ceci au moment ou il se mit en tête que sa vie d’alors ne lui réservait pas l’avenir auquel il aspirait. D’après Jacques Durand*, le maestro ne voyait comme unique possibilité de se sortir de son sort professionnel, que par une carrière de ténor ou bien de matador de toros.

N’ayant pas eu le succès attendu sur les planches, Luis Mazzantini eut alors l’activité que nous lui connaissons dans les ruedos. Une carrière de torero que, Jacques Durand toujours, rapporte comme une réponse à une fuite d’un avenir qu’il voyait se profiler comme routinier, modeste et vulgaire. Sur ce dernier aspect, connaissant l’attirance de Don Luis pour les arts libéraux, il faut voir dans ce refus d’une condition vulgaire, un désir de distanciation vis-à-vis de ce qui ne sollicite pas l’éveil de l’esprit.Garder l’esprit éveillé, fuir le vulgaire intellectuel, était pour Don Luis la recherche d’une fréquentation assidue de la société bourgeoise. Etre aux côtés des élites intellectuelles de son époque, qu’elles soient politiques ou bien artistiques, être soi-même une référence dans son domaine d’activité, tel semble avoir été le crédo de Luis Mazzantini. Ce désir d’élévation sociale, qu’il serait fort mal de venu de railler de nos jours à la vue des nombreux candidats à toutes formes mêmes éphémères de reconnaissances, Don Luis l’entretenait. Nous le connaissons fréquenter Sarah Bernhard, le poète cubain Julian del Casal (1863-1893) lors de ses séjours à La Havana, et nous découvrons aussi qu’il rencontra Félia Litvinne (1860-1936) lors d’un séjour madrilène de cette dernière.

Félia Litvinne, de père russe et de mère canadienne, naturalisée française en 1893 de par son mariage, possédait aussi du sang écossais et français par son grand-père et sa grand-mère du côté maternel. Issue d’une famille qui marqua de son empreinte le sol canadien au XVIIIè siècle, ainsi que la lignée paternelle marqua la ville de Saint Pétersbourg en qualité d’ébénistes ayant entre autre restaurés divers palais, Félia découvre l’art lyrique à l’âge de 5 ans. De son véritable nom Françoise Jeanne Schütz, cette soprano qui chanta l’opéra surtout wagnérien, rapporte sa rencontre avec le diestro dans son récit « Ma vie et mon art »**. Une brève relation amicale, dans le cadre d’une prestation de la chanteuse au Théâtre Royal de Madrid. Un engagement qu’elle avait accepté avec grande joie, pensant qu’elle rencontrerait un certain succès auprès du public madrilène. Comme la chanteuse le précise elle-même, comparés aux publics de représentations antérieures sur diverses scènes européennes, les spectateurs ibériques lui parurent froids. Ce qui agaça son jeune orgueil.

Son partenaire d’alors rencontra lui aussi l’affront du public, elle décida donc d’arrêter ses représentations en ces lieus. Ceci malgré la presse admirable, et malgré l’insistance de l’héroïque toréador, Don Luis Mazzantini. Don Luis, est présenté comme un personnage ayant autorité et recevant une admiration sans borne des madrilènes. Celle qui avait rêvé de devenir la cantatrice préférée des espagnols, attristée par l’attitude du public, ne voulait plus sortir, même pour aller visiter les musées.

Voulez-vous venir avec moi à la ganaderia, je dois y choisir des toros pour la course, cet ainsi que Félia Litvinne se remémore l’instant ou Luis Mazzantini leur proposa à elle et sa sœur d’aller faire un tour au campo. Malgré son amour des animaux, les cornes des bovidés provoquent l’effroi chez la soprano. Mais par bravade, elle accepta l’invitation. Parties dans un landau traîné par quatre chevaux, Félia Litvinne était habillée d’une robe rouge. Le fantasme de la couleur rouge excitant la nervosité des toros bravos étant déjà établit dans les esprits profanes à l’art tauromachique, la chanteuse marchait fièrement mais bien en arrière du maestro. Dans ce récit, la soprano rapporte que Don Luis lui fît remarqué la couleur de sa robe, et qu’il ne pourrait la sauver que difficilement si un bicho chargeait, car il n’avait pas sa cape avec lui. L’aficionado a los toros peut être surpris à la lecture de cette affirmation, aussi convient-il de prendre cette dernière avec un peu de recul. L’on peut mettre ceci sur le compte de la tentative de séduction de la part du torero, voulant pointer le danger de la situation et son courage à affronter des toros, car nous savons bien qu’il n’en est rien à propos de la couleur rouge et de l’agacement des toros. Ou bien nous pouvons mettre ceci sur le compte du souvenir lointain, car ce séjour madrilène était avant le mariage de Félia, ce qui remonte à avant 1893. Le récit étant publié en 1933, donc écrit aux portes des années 30, soit quelques quarante ans plus tard.

Très apeurée mais crânant tout de même, un gaucho vint chercher les toros quelque peu énervés par la présence humaine. Ce qui autorisa à ces dames et au torero, d’aller se restaurer dans une auberge contigüe à la ganaderia. La fin de cette journée au campo, fût marquée par ses mots de Don Luis envers la chanteuse, tout de même mes amies, vous êtes chic !… Il y a peu de dames espagnoles qui auraient accepté cette équipée.

Félia Litvinne ne dit rien de plus à propos de ce moment passé aux côtés de Luis Mazzantini, mais par ces quelques lignes, ces quelques mots qui nous sont rapportés de lui, nous retrouvons bien le torero que nous connaissons.



*« Tauromachie, propagation de la rage », de Jacques Durand, Claude Bleton, Christian Milovanoff, Actes Sud, La pensée de midi 2001/1, numéro 4, pages 172 à 175.
**« Ma vie et mon art », de Félia Litvinne (1860-1936) édité par la librairie Plon à Paris en 1933.

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