jeudi 2 juillet 2009

LIEUX INTEMPORELS


Un idéal prend réellement force et vigueur, lorsqu’il est possible de communier autour des actes et des valeurs qu’il représente en quelques endroits où l’on se trouve. Pour cela, il ne faut pas que ces actes et valeurs puissent se vivrent en un lieu de célébration défini, mais que l’endroit soit bien intemporel. Si il existe un idéal possédant encore cette dimension dans notre société, et dont la célébration symbolique et rituélique entre dans ce cadre, il s’agit bien de la tauromachie.

Comme chacun le sait, le lieu cérémoniel de la célébration du culte du toro, se trouve dans une arène construite à cet effet. Une arène dont la structure reste fixe à longueur d’année, une plaza de toros mais aussi des placitas aménagées ponctuellement. Ce qui fait une plaza de toros, n’est pas tant l’édifice en lui-même, mais bien ce qui le créé et en reflète l’esprit. Une arène, même antique, dépourvu des traditionnelles barrières de bois, de la piste en sable, de quelques portes de toril et cuadrilla, ne fera pas frémir l’émotion taurine de l’aficionado a los toros. Il pourra ressentir une sensation à la vue de la structure et de ce qu’elle représente aux yeux de l’histoire, mais très certainement pas un sentiment taurin.

Afin de permettre l’expression de l’égrégor émanant de la foule humaine créant, grâce à sa particularité, une osmose humaine vis-à-vis de l’acte, la fibre tauromachique doit se dégager du lieu. Cette fibre ne s’inscrit pas dans les murs d’un bâtiment, mais dans le déroulement de l’acte taurin, se structurant et se consolidant à partir de la cérémonie d’ouverture. Toute prestation tauromachique se voit dotée de ce cérémonial, le paseo bien entendu, mais aussi l’installation des protagonistes même lors de la plus petite capea. Car même sous une apparence parfois anarchique, les acteurs d’une capea suivent bien un rituel d’ouverture.

S’intéresser à la culture et l’histoire méridionale, permet de comprendre comment la tradition tauromachique a pris racine, mais aussi de percevoir que l’ensemble des terres taurines françaises ont souvent offertes un bon accueil, et ce dès leurs apparitions, aux croyances ou philosophies pouvant ce vivre dans des lieux intemporels. La plus célèbre des ces religions, fût celle de l’église Cathare, qu’une autre église qualifia d’hérétique, et qui sous ce prétexte, en profita pour annexer les terres occitanes au royaume de France il y a 800 ans. La religion Cathare refusait le luxe mais aussi les lieux de cultes, elle était composée de deux rites, le méliorament et l’endura, ainsi que d’une cérémonie, le consolament. Cette dernière se réalisait dans un lieu discret, sanctuarisé pour l’occasion.

Si la religion Cathare n’a pas survécu aux persécutions, du moins dans sa forme originelle puisque certains s’évertuent à faire vivre un prétendu esprit cathare et donc réalisent l’interprétation d’un culte longtemps interrompu et à la mémoire véritable perdue, d’autres courants aux célébrations intemporelles ce sont bien ancrés dans les terres méridionales. Poursuivant l’esprit qui a motivé la mise en ligne de ce blog, il convient donc de s’arrêter sur l’un de ces courants philosophiques qui pris racine dans le midi dès son arrivée en France dans le premier tiers du XVIIIè siècle, la franc-maçonnerie.

A l’identique des corridas de toros, une réunion de francs-maçons se déroule dans un lieu dénommé « temple » au cœur d’un édifice construit à cet effet par raisons de commodités. Commodités contemporaines, mais aussi soucis de discrétion, car à l’origine, les assemblées se réunissaient dans les arrières salles de tavernes anglaises. Dans le temple se réunit une loge, composée de francs-maçons et de francs-maçonnes. Comme pour la corrida où l’arène est le temple, les toreros différents à chacune des courses sont comparables au francs-maçons qui diffèrent d’une loge à l’autre. La loge se constitue grâce à un cérémoniel d’ouverture ritualisé, qui permet de positionner les différents outils symboliques nécessaires à l’harmonie et à l’égrégor.

L’exemple contemporain le plus marquant de cette intemporalité d’une loge et dans laquelle l’harmonie se propagea, est l’histoire de la loge « Liberté Chérie », constituée dans le baraquement numéro 6 du camp de concentration Emslandlager VII de Esterwegen. Sept prisonniers de nationalités belges et surtout francs-maçons, ont le 15 novembre 1943, créé une loge maçonnique en ce lieu de mort. Une loge qui initia même un autre prisonnier, et qui travailla sous la couverture de prêtres catholiques eux aussi retenus par les nazis, qui surveillaient le baraquement pendant le déroulement des réunions. Les divers témoignages rapportent que les sujets abordés étaient de l’ordre de ceux étudiés dans toute loge, sociétaux comme philosophiques. Le rituel était des plus simples et se déroulaient autour d’une table. Rien à voir donc avec certains édifices maçonniques démesurément grands, et de quelques décors plus rutilants que les rues d’une grande ville à la période de Noël. Cette loge créée dans de terribles conditions, a pu vivre grâce à la volonté humaine dans un lieu éphémère, effacé après chaque réunion, mais dont les protagonistes ont donné force et vigueur.

La religion Cathare en son temps, la franc-maçonnerie et la tauromachie depuis leur avènement,, se vivent, se réalisent en un endroit sacralisé mais éphémère. Les arènes sont rendues aptes à célébrer le combat entre l’homme et le toro, par un rite de sanctification qui prend force et vigueur dès l’entrée des différents acteurs, et sous l’accompagnement des spectateurs. Car rendre un lieu sacré afin de réaliser le rite, ne peut se faire sans l’ensemble des individus, ainsi tous acteurs de l’égrégor.
Même si l’aspect initiatique des aficionados a los toros pour qui la tauromachie n’est pas que le seul fait de voir une corrida, fait de plus en plus souvent défaut sur les tendidos, la réunion des acteurs arrive encore à offrir un caractère sacré au déroulement du combat. La part importante, comme l’affirment certains exégètes des mouvements philosophiques, en étant le rituel, qui contribue à révéler à la pleine lumière le caractère intérieur, spirituel et spéculatif, ceci étant valable pour le temple moral, et applicable au temple religieux, philosophique mais encore taurin.

Une fois le rite accompli, le temple, l’arène, redeviennent des endroits insignifiants, qui pourraient accueillir tout genre de manifestation. Ces lieux éphémères retournent à leurs sens premiers en attendant la prochaine célébration, qui l’espace d’un temps mesuré, redeviendra sacré.

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